° Rubrique lettresRaymond Queneau

Auteurs

Raymond Queneau.

LES FLEURS BLEUES -III-


------------------------------------------------------------

UNE ÉCRITURE PAS POSSIBLE !

 1- Un prof y perd l'orthographe ;  2- les mots y font les fous.

1- Pauvre orthographe!

On se demande par moments quel charabia manipule Raymond Queneau, il est sûr, en tout cas, qu'il prend beaucoup de libertés avec la sacro-sainte orthographe. Cette orthographe, Marcel Pagnol, qui n'était pas un puriste borné, disait, pourtant, lors de son entrée à l'Académie Française, qu'il voulait la protéger, pour permettre à ses petits-enfants de comprendre plus tard ce qu'il avait écrit.

Au contraire, pour comprendre certaines tournures des Fleurs Bleues, il est parfois utile d'oublier ce qu'on sait, et de lire tout haut cette écriture phonétique. Voici de la fantaisie pure:

"Stéphane, ainsi nommé parce qu'il était peu causant", "Stèfstu esténoci", "tu feras terstène".

Cidrolin épèle son nom: " Dicornil (vous avez, bien sûr, observé que Dicornil = Cidrolin: pour camoufler son nom, le malin a fait un anagramme!). Monsieur Dicornil. D. comme duc, I. comme Joachim, C. comme Capétien, O. comme Onésiphore, R. comme Riphinte, N. comme N. et le reste à l'avenant.
- Dupont. C'est bien cela? Pour monsieur Dupont?
- Vous m'avez compris"...!!!

Voici des transcriptions populaires:

Rendu phonétique de prononciations ou locutions familières:
"grammerci, asteure, je mdemande, les ouatures, les douas, les châtiaux, Lamélie, Lalix, une gorgée de rome".
Rendu phonétique de mots étrangers:
"sandouiche, stèques, ouesterne, gueurle, stripeutise, standigne, vatères, campigne, interviouve..."
Rendu phonétiques de mots en initiales:
"la éssésse, les vécés, les céhéresses, la tévé, l'achélème, l'ératépiste..."

Voici des libertés qui peuvent cacher une intention:

"chevals, chevaus, genous, chous gras" refusent l'adjonction assez arbitraire de l'x pour marquer le pluriel, et "sculteur" supprime une complication artificielle, 
"les cors"
(des ennemis morts), qui ne sont pas seulement ceux qu'ils avaient aux pieds, rappellent aussi les "signes sonores" qui ouvraient les hostilités,
les "emmendes" ont une belle concision expressive,
la confusion "sourcier-sorcier" va de soi,
"la ténèbre grottesque" joue sur deux tableaux,
ils"fou-rirent tous les deux" donne beaucoup de vivacité,
"les anchois sont des harengs pluvieux" critiquent un mauvais repas, qui rend mélancolique.

2- A quoi jouent ces mots-là!  

Avec ces approximations, nous sommes déjà aux jeux de mots, un des éléments essentiels des Fleurs Bleues, comme nous en avertit le duc dès les premières lignes: "tant d'histoire pour quelques calembours... quelques anachronismes."

Les moyens et les effets sont multiples.

Voici le plus vrai, le plus laborieux calembour du texte:
"Si bèle le zèbre ut, voilà Belzébut", le seul, je crois.

En revanche, les fausses bourdes par approximations abondent. Elles mettent ensemble des choses sans rapport logique:
-"prendre les mots à leur valeur faciale" ne veut rien dire, tout en semblant très net,
-"foi d'Empoigne" et "chevaus sur la soupe" mènent deux idées à la fois,
de même, "nenni soit qui mal y pense... Copernic soit qui mal y pense" (pour -"honni soit...", devise de l'ordre de la Jarretière) lient la pensée du duc à la conversation,
-"prendre un chaud-froid de bouillon" évoque la gastronomie et, avec les vicissitudes de la Croisade, le premier roi de Jérusalem, Godefroy de Bouillon,
"l'espadrille", ce mot pris pour un autre dans un échange sur les courses de taureaux ajoute l'estocade aux banderilles, tout en évoquant la légèreté du matador.

Les approximations amènent les enchaînements de sons et d'idées les plus baroques et les plus saugrenus:

"deux Huns, non loin d'eux, un Gaulois Eduen" (2, 1, 2, 1 et 2, 1)
" Romains fatigués" (de travailler comme...), 
"Sarrasins de Corinthe"
(raisins de Corinthe), 
"Francs anciens"
(les nouveaux Francs furent mis en circulation à l'époque où ce livre paraissait), "Alains seuls" (un linceul), 
"les Huns préparaient des stèques tartares"
(dont ils furent grands consommateurs), 
"le Gaulois fumait une gitane"
(on attendait une gauloise), 
"les Romains dessinaient des grecques"
( monde gréco-romain), 
"les Sarrasins fauchaient de l'avoine"
(deux céréales), 
"les Francs cherchaient des sols"
(monnaie pour monnaie), 
"les Alains regardaient cinq Ossètes" (
chiffres).

Dans le même esprit, vous découvrez les astuces de: 
"Celtes, air gallican", "Romains, air césarien", Sarrasins, air agricole", Huns, air unique", Alains, air narte", Francs, air sournois".

La répétition, qui est "l'une des fleurs les plus odoriférantes de la rhétorique", se rencontre partout:

Répétitions de sons qui font assonnance ou rime:
"l'horrifié hérault terrifié", "sans cadence ils avancent en silence, la corde se balance", "demoiselle... oiselle iroquoiselle", "Amélie, hagarde, le regarde".

Répétitions de mots:
"vous pensez... je pense... je pense... je pense... vous pensez... je pense...", s'opposant à "vous avez rêvé, vous rêvâtes, vous rêviez, vous rêvez",
"deviner":
pas loin de vingt fois en onze lignes, dont voici la fin:
"...il devinait que le duc avait deviné qu'il avait deviné".

Fausses maladresses:

"dit le duc d'Auge au duc d'Auge", "Cidrolin dit à Cidrolin", qui, en substituant la répétition au pronom réfléchi, met la personne face à elle-même, et amorce le dédoublement, sur quoi se fonde l'argument du livre,
"pas tout à fait inachevé... pas tout à fait achevé" qui renouvelle l'expression: "ni fait, ni à faire".

Phrases répétées, avec de menues variantes, soit dans le même passage, soit tout au long du livre (nous reviendrons sans doute sur certaines de ces rengaines significatives):

"les Normands buvaient du calva" ,
"à la tévé, on baise guère",
"encore un de foutu",
"vous devriez vous corriger",
"c'est un nom qui me dit quelque chose",
"vous buvez trop! - tout le monde me le dit",
"vous cassez pas la gueule... attention de pas vous foutre dans la flotte",

corrigé, devant des visiteurs distingués, en:
"faites attention de ne pas vous casser la figure... faites attention de ne pas vous flanquer à l'eau".
"de loin c'est chouette, mais de près c'est dégueulasse".
"l'eau paraît un peu sale, mais elle n'est pas stagnante. Ce ne sont pas toujours les mêmes ordures qu'on voit. Des fois, je les pousse avec un bâton, elles s'en vont au fil de l'eau. De ce côté-là, tout de même, en effet, ça croupit un peu."

Une expression,

prise à la lettre, ou dans différentes acceptions, ou hors du sens habituel,    

qui crée l'inattendu!
"son humeur était de battre. Il ne battit point sa femme parce que défunte, mais il battit ses filles... il battit des serviteurs, des servantes, des tapis, quelques fers encore chauds, la campagne, monnaie et, en fin de compte, ses flancs."
"des couples pratiquaient le bouche à bouche",
"cela faisait longtemps que vous n'étiez venu? - plus d'un siècle... je veux dire: très longtemps
": le duc n'a pas vu Paris depuis la Révolution,
"discuter à bâtons rompus": le duc vient de casser une escabelle sur le dos de son cuisinier,
"bêtes à bon dieu": les curés,
"un abbé de choc: si le duc lui flanquait un coup de pied, il en rendait deux",
"il avait tout pour déplaire",
"l'Arche: sans doute parce qu'il n'y loge aucun animal",
"permis gastronomique",
"torchon polyvalent",
C.R.S.= "compagnies royales de sécurité",

"Allons, voyons, messire, dit Onésiphore (l'abbé) sur un ton de doux reproche, un peu de modération, je ne vais pas avoir le temps de lui donner les derniers sacrements", le duc est en train d'étrangler un malheureux astrologue.

Aller à la page suivante: 4) Plein d'astuces plus ou moins vaseuses 

I.Du français pur beurre!

II. Notre histoire de France

III. Une écriture,
pas possible!

IV. Plein d'astuces.

V.  Du Rabelais!

VI.Ça sent si bon la France

VII.Des gens de chez nous

VIII. Une famille sympa 

IX. Le bleu des rêves

X. Rêves, fantasmes

 

XI. Où en sommes-nous?

XII. Le bleu de la tendresse  

XIII. Le meilleur ami de l'homme

 

° Rubrique lettresRaymond Queneau, les fleurs bleues

2010 ©Philagora tous droits réservés Publicité Recherche d'emploi
Contact Francophonie Revue Pôle Internationnal
Pourquoi ce site? A la découverte des langues régionales J'aime l'art
Hébergement matériel: Serveur Express