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Rubrique lettres
> Raymond
Queneau
Auteurs
Raymond Queneau.
LES FLEURS
BLEUES
Le
bleu de la tendresse.
XII- Empoignades
et mots doux !
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Mais nous brodons sur les demi-mots, les allusions, les sous entendus, qui, eux, ne manquent pas, et la paillardise, si paillardise il y a, c'est nous qui l'apportons, comme dans une auberge espagnole.
-Tenez: Le duc et Russule
"jouèrent jusqu'à l'aube"... à quoi? mais peut-être aux dominos, après tout!
-Quelles sont les relations entre Lalix et Cidrolin?
Le premier soir, au retour du cinéma, Lalix insiste pour que Cidrolin aille faire le guet dehors et tente de pincer son gribouilleur. Lui n'y tient pas, mais il lui vient une inquiétude:
"Vous aimeriez mieux que je passe la nuit
dehors?" Lalix répond en abordant franchement le sujet, faire l'amour, et son allusion à l'inconfort des lieux pour y pratiquer la chose laisse le champ libre à toutes les suppositions.
-La duchesse Russule meurt de consomption peu après la mort du jeune
Mouscaillot, on peut donc penser qu'elle préférait ce garçon à son vieux
mari, mais l'auteur ne nous fait pas tenir la chandelle.
-Queneau et l'art du suggéré! Sous des airs très libérés, une pudeur classique? Ce serait trop drôle! Abstraction, retenue,
décence... voilà qui est inattendu à propos du style quenellesque!
L'auteur, en tout cas, invente là une ingénieuse transcription du rêve: il nous amène à y participer sans même nous en apercevoir, en y apportant notre propre imaginaire.
Dans ce
roman où les gueulantes et les empoignades sont plus fréquentes que les
mots doux, quelques êtres se montrent pleins de tendresse et d'indulgence.
Une belle histoire d'amour... Entre Cidrolin et
Lalix, ça débute mal:
"Il aperçut une silhouette féminine à l'horizon ... complétée par une valise... - ça, c'est pour moi, dit Cidrolin ... arrivée devant le portillon... la silhouette féminine continue son chemin. - quelle gourde, dit
Cidrolin, je parie que c'est l'envoi d'Albert"... après s'être renseignée, la silhouette rebrousse chemin... " la voilà:
- C'est vous le type dont m'a parlé monsieur Albert?
- Qu'est-ce qu'il vous a dit...
- ... On ne répond pas à une question par une question...
-
Heureusement, Lalix se tire assez vite des embrouilles où s'enferme
Cidrolin. Positive et dégourdie, elle fait l'inventaire de la péniche, et se met au travail sans tarder:
"Vous bilez pas. Je me ramène dans cinq minutes pour préparer votre petit
déjeuner."
-
Avec la responsabilité de la péniche, elle a pris aussi en mains les intérêts de son patron.

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Elle lui énonce des principes
"ne pas boire de l'essence de fenouil avant le déjeuner, ne pas raconter ses rêves".
Elle lui fait la leçon: "Vous allez encore faire la sieste? vous avez déjà dormi toute la
matinée!".
Pourtant, elle garde sa place, ne s'assied que sur l'invitation de Cidrolin, et tient à faire son service. Lorsque celui-ci se lève pour aller chercher à boire, elle s'interpose:
"Et moi alors? C'est moi qui dois faire ça. Asseyez-vous".
Horrifiée par les insultes qu'un inconnu peint sur la clôture, elle engage vivement Cidrolin à réagir:
"Vous n'êtes pas curieux de savoir qui ça peut bien être ce
type?" et comme il renâcle, elle insiste: "Vraiment, vous n'avez pas le courage de passer la nuit dehors pour corriger ce con?
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- ... Je préfère dormir.
- Si c'est comme ça, eh bien c'est moi qui vais y aller."
Lorsqu'il prend froid au cours de sa veillée nocturne, elle s'en fait reproche, et elle l'entoure d'une sollicitude où ne manque pas l'humour:
"Vous n'aviez pas dit à monsieur Albert que c'est une garde-malade qu'il vous fallait! Elle
rit".
Gentille mais ferme, elle ne se laisse pas marcher sur les pieds et n'hésite pas à dire ce qu'elle pense:
"Monsieur Albert m'avait dit que vous étiez de bonne composition, mais vous râlez tout le
temps".
Quand il a dormi et lui demande de répéter un récit, elle
réplique: "Vous n'aviez qu'à écouter".
Au duc s'étonnant qu'il n'y ait ni oeufs au plat, ni andouillette, elle affirme, sans se démonter:
"Il n'y a pas
d'œufs au plat!.. Il n'y a pas d'andouillette!"
-
Assez peu féministe, elle ne discute pas le principe de la supériorité masculine. Elle accepte le changement d'orientation que monsieur Albert lui impose avec rudesse, et lui garde sa confiance. Quand Cidrolin la présente comme sa fiancée, c'est pour elle une première nouvelle, mais elle y souscrit aussitôt:
"Puisque nous sommes fiancés..."
En contre partie, elle attend d'un homme qu'il se montre fort, ne se laisse pas insulter, et ne gamberge pas dans sa tête, "j'aime pas les cinglés!" dit-elle au duc. Blessée dans sa dignité par celui qui s'est "moqué d'elle", elle décide de le quitter, la mort dans l'âme.
La scène des adieux est toute simple, avec Lalix en pleurs: "Je m'étais attachée à vous... je sors de votre
vie", et Cidrolin, embarrassé et profondément navré: "Là, là, je serais très malheureux si je vous ai fait de la peine... qu'est-ce que vous allez
faire?"
Le groupe du duc fait merveille pour consoler la pauvre affligée:
"Ca ne va pas?... on vous emmène... dans un de-luxe super... on ne s'ennuiera pas devant les assiettes... allez, pas
d'histoires!" dit la comtesse compatissante.
Tous de l'interroger sur sa peine, et le duc:
" - Vous avez un faible pour lui?
- J'avais.
- Vous l'aimez, quoi.
- Voui, je l'aimais. ..."
Les retrouvailles sont pleines d'une jolie émotion retenue. Lalix fait une réussite lorsque rentre
Cidrolin. Elle
"lui sourit". Il s'assied en face d'elle: "Ca marche, cette réussite?" Elle continue tranquillement à retourner ses cartes, quand soudain, elle s'écrie, consternée:
"ma valoche! - Je vais aller vous la
chercher", propose gentiment Cidrolin.
Ils échangent ensuite leurs impressions sur la mort du justicier Labal, Lalix n'ose pas aller au bout de sa pensée sur cette disparition..., mais,
"Après un petit silence, Cidrolin répondit: Je suis peintre, je ne suis pas architecte. Il sourit gravement et conclut: Vraiment, nous n'y sommes pour
rien".
Et pour finir la soirée, ils vont au cinéma.
Texte de
Jacqueline Masson
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