1)
Les questions posées par Jean Marie Brohm
Jean-Marie
Brohm:
Je vais lancer la réflexion que Tobie Nathan poursuivra. Comme
vous le savez, il y a un point sur lequel j’insiste beaucoup
ici, dans le cadre d’une épistémologie de la complémentarité
et de la multi-référentialité: c’est le problème du “
double ”. Les doubles culturels en nous et en dehors de nous
ainsi que les multiples frontières et limites : le culturel et le
psychique, l’identité et l’altérité, l’étranger et le
familier, l’un et l’autre, l’un dans l’autre, l’un
contre l’autre, l’intérieur et l’extérieur, l’ici et
l’ailleurs, l’en deçà et l’au-delà... Voilà des
questions qui interrogent beaucoup les sciences humaines et en
particulier la sociologie et l’ethnologie.
Deuxième
question qui me semble importante — c’est un apport propre à
Tobie Nathan — la question des “psychèmes”. Tobie Nathan
distingue — il développera mieux que moi — trois types de
psychèmes : les pulsions, les fantasmes et les mécanismes de défense.
Et ces psychèmes-là ne concernent pas seulement la psychologie
mais aussi la sociologie, l’ethnologie, l’anthropologie, la
psychologie sociale.
Troisième
question qu’il serait intéressant d’aborder, aussi bien du
point de vue socio-anthropologique que du point de vue
psychologique : la question du pluri-culturel ou du multi-culturel.
C’est-à-dire aussi bien la dimension de l’inter-culturel que
de l’intra-culturel — il n’est pas interdit de faire de l’intra-culturel
quand on fait de l’ethnopsychiatrie — mais aussi, plus intéressant
peut-être, le trans-culturel ou le méta-culturel. Questions qui
ont évidemment une grande importance en épistémologie.
Quatrième
question qui concerne plus spécifiquement les sociologues : la
notion développée par Georges Devereux, reprise par Tobie Nathan
— dans un ouvrage que je vous recommande : Sexualité idéologique
et névrose — la notion de “ masses sociales ”. C’est une
notion toute simple qui interroge les sociologues : comment se
fait-il que des opinions, des attitudes minoritaires, en termes
statistiques, puissent avoir une influence sur une masse sociale
considérable ? Notion qui déconstruit assez radicalement la
fiction des sondages d’opinion.
Cinquième
point, ce pour quoi il y a lieu de discuter ici, la notion de
complémentarité, la possibilité ou non de tenir un discours
simultanément psychologique et sociologique sur un même objet.
Par exemple, est-il possible de tenir en même temps un discours
freudien et un discours de type marxiste sur le même objet ? Non,
si j’ai bien compris Devereux et Tobie Nathan, puisqu’il faut
articuler dans la complémentarité un discours qui épuise
l’objet et ensuite passer à un autre discours. Donc complémentarité
qu’il est parfois convenu d’appeler “ articulation de
diverses références théoriques ”. En sociologie par exemple
il n’est pas interdit d’être alternativement “marxiste”,
“marcusien”, “bourdieusien”, “tourainien”, “boudonien”,
“maffesolien”, etc... En passant d’un paradigme à l’autre
— Jacques Ardoino avait expliqué cela l’an dernier — il est
possible de pratiquer la multi-référentialité. Et j’ajouterai
à propos de ce que Tobie Nathan a dit du “ polyglottisme ” en
évoquant les 40 langues parlées dans son Centre de recherche
qu’il n’est pas interdit de les apprendre. Il serait même
souhaitable, plus modestement, que les enseignants et les étudiants
connaissent au moins l’anglais ou l’allemand !
Dernier
point, non des moindres, développé dans Psychanalyse et
copulation des insectes : “ J’ai tenté d’établir, écrit
Tobie Nathan, un parallélisme entre les différents types de
copulations chez les invertébrés et les différents types de
transferts psychanalytiques, déjà décrits et plus ou moins
plausibles ”. Je vous recommande la lecture de cet ouvrage
stimulant qui établit un rapport, en tous les cas une association
fantasmatique, entre ce qui se passe chez nos amis les petites bêtes
— les arthropodes — et chez nous, aussi bien dans la relation
érotique que dans le lien social en général.
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2 ) Une anecdote significative. |