Ainsi, par
l’utilisation de signifiants universels, le langage humain
est susceptible d’une élaboration qui permet
d’accroître l’étendue de l’expression et partant
rend possible une communication inter-subjective. En tant
qu’il s’attache à la désignation d’états intérieurs,
le langage est donc l’instrument par lequel s’opère
l’expression des idées. Servant à les communiquer, il
est aussi le lieu où elles prennent un sens communément
partagé. C’est une remarque suffisamment reprise depuis
le Cratyle jusqu’à Hobbes dans le Traité de la nature
humaine qu’un mot ne peut servir à la désignation
qu’en tant qu’il représente un idée universelle et
abstraite et non pas une chose particulière, mis à part le
nom propre. Mais ces idées universelles n’existent pas
elles-mêmes en dehors des mots qui les portent. Sur ce
point, que nous consultions Berkeley dans la Préface aux
Principes de la connaissance humaine ou Locke dans la IIIe
partie de l’Essai sur l’entendement humain, les idées
universelles n’existent pas en soi. Et ce malgré le préjugé
de l’opinion naïve, qui croyant parler des qualités des
substances extérieures et présumant chez les autres une égale
compréhension, est incapable d’apercevoir que ces qualités
générales n’existent qu’en nos idées et sont
insuffisantes à exprimer la réalité individuelle d’un
corps extérieur déterminé. De là proviennent les
querelles entre ceux qui ne s’entendent pas sur une même
signification et qui croyant parler d’une même chose se
disputent en fait sur les mots qui servent à la désigner.
De ce fait, nous pouvons remarquer que la communication
langagière suppose une compréhension partagée du sens
attaché aux idées que désignent les mots. Or, en
tant que cette compréhension n’est universelle qu’à
l’égard de ceux qui se sont ainsi entendus sur la définition
du mot, nous pouvons conclure à l’utilisation
conventionnel des mots et partant à l’artificialité du
langage humain. En ce sens, le langage est un instrument qui
recèle la possibilité d’inventer et de communiquer de
nouvelles significations. Par là même le langage crée la
possibilité de nouvelles choses. Autrement dit une chose
n’existe pas avant qu’elle ne soit nommée. De même
qu’Adam nomme les animaux qui dès lors commencent
d’exister pour lui, de même une chose comme « la galaxie
» ne représente rien d’autre qu’amas d’étoile avant
que le nom ne soit donné qui permette de s’y représenter
l’unité.
Ainsi, à
partir du découplage du langage entre expression et exprimé,
nous pourrions définir le langage comme un instrument de
communication universelle d’idées conventionnelles.
Mais si le
langage n’est rien de plus que cet instrument par lequel
des idées particulières peuvent acquérir une
communicabilité universelle et servir à l’élaboration
d’autres idées, ne devons-nous pas voir en lui qu’un
simple outil ? Le langage, en tant qu’instrument de la
communication, ne renvoie-t-il pas à une technique ? Et à
ce titre, ne peut-il être maîtrisé en vue d’une
communication plus précise et plus large ? Répondre à
cette question, c’est finalement statuer sur le statut du
langage : est-il un instrument transparent de la
communication ?
Or, si le
langage est un outil, il suffit de savoir s’en servir pour
parvenir à communiquer plus efficacement. Comme le montre
Platon dans le Gorgias notamment, me rhéteur est celui qui,
par la connaissance des règles argumentatives, peut faire
changer d’opinion une assemblée en présentant une même
chose sous des angles différents. C’est ce qui vaut à la
rhétorique de se voir qualifier « d’ouvrière de la
persuasion ». Ainsi que le montre Hobbes dans le De Homine,
le langage n’est que l’expression extérieure de la consécution
intérieur des désirs produits par l’impression des
choses sur nous. La ratio n’étant que la calcul par
lequel nous enchaînons nos idées suivant l’ordre nécessaire
à la satisfaction de nos passions, le discours n’est,
dans la communication extérieure, qu’oratio ; c’est à
dire tendance à engendrer chez les autres des mouvements
intérieurs semblables aux nôtres. La persuasion consiste
ainsi à éveiller chez les autres une passion en faisant
apparaître une chose dans l’esprit par son engendrement
dans le discours. Il existe donc une technique du langage en
tant qu’instrument de la communication de nos passions.
Mais cette technique qui consiste à créer un accord sur
une chose par la présentation d’une idée sous un angle
neuf n’est pas propre à la rhétorique et n’implique
pas nécessairement une finalité négative. Il existe un
juste usage du langage. |