Nous voici donc parvenus à une conclusion bien sombre. Le
langage qui nous donne seule accès à la maîtrise de nos
pensées et l’accès à un monde commun, loin d’être
l’instrument docile d’une communication immédiate, se
donnerait bien plutôt comme l’instrument de notre
soumission : soumission à l’ordre de la règle énonciatrice,
soumission à l’aliénation inconsciente de notre moi au
jeu de l’inconscient, soumission à un discours
anonyme qui nous parle et que nous ne pouvons revendiquer
qu’en nous en faisant le pantin. Seul sursaut de liberté
dans ce constat navrant nous est apparue la poésie, elle
qui triomphe du langage en le conduisant jusqu’au limite
de son pouvoir. Mais elle aussi achoppe à la possibilité
d’une communication advenue entre sujets libres, sitôt
qu’elle reprend le chemin de la quotidienneté. Et
pourtant en filigrane nous est apparue la nécessité du
penser éclairé, non sur lui-même mais sur les préjugés
naïfs qui l’empêchent de se connaître comme ne se
connaissant pas. Comme le roi Midas, le langage transforme
ce qu’il touche en l’or qui ne sert qu’à son échange.
Mais alors nous apparaît une possibilité. Celle du médecin
qui au lit du sujet moderne interroge et discerne les symptômes
du délire. La généalogie nietzschéenne ne visait pas
autre chose lorsqu’elle interrogeait : « qui parle ? »,
c’est à dire qui évalue ou a évalué le sens de ces
mots, quelle est la nature du vouloir qui a donné réalité
à ce phénomène en le nommant ? Les épigones d’Adam
sont des anonymes qui nous ont laissé en partage des
significations dont nous ignorons la provenance. Voilà qui
devrait nous faire douter de la transparence du langage.
Voilà qui devrait nous laisser songeur sur l’instrumentalisation
du langage et du pouvoir qu’il peut communiquer sans se
dire.
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