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Rubrique proposée et animée par  François Palacio

Dissertations de philosophie

Le langage est-il un instrument de communication?   (6 heures)

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Comme le montre Aristote dès le Premier Livre des Politiques, c’est justement parce qu’il parle et qu’il peut produire une définition du juste et de l’injuste que l’homme est par excellence « un animal politique ». Cette question de la juste définition rejoint l’interrogation socratique dont le but est de savoir de quoi l’on parle. Le but de la confrontation des opinions, par exemple sur le pieux dans l’Euthyphron, est l’accès à une définition unique et univoque du mot sur lequel roule la discussion. Le langage sert de ce point de vue à communiquer le vrai. Dire le vrai, c’est affirmer d’un sujet un attribut qui lui appartient. C’est « ne pas se tromper en prenant le Même pour un Autre ou l’Autre pour le Même ». C’est ainsi que le Sophiste voit dans le langage le lieu de la communication des genres dont l’articulation doit reproduire leur communication intelligible. Par conséquent, qu’il serve à soulever une passion, comme Démosthène haranguant Athènes contre le danger macédonien, ou bien à faire connaître le vrai, comme Platon y enjoint le « nomothète » dans le Cratyle, le langage apparaît objet d’une technique qui trouve sa fin dans la communication du vrai ou du vraisemblable.  

Or qu’est-ce qu’une technique ? Aristote la désigne dans l’Ethique à Nicomaque comme une « disposition accompagnée de règles vraies capable de produire ». De ce point de vue, le langage entendu comme technique de la communication suppose une connaissance des règles visant à cette communication. Le retour réflexif sur les opérations du langage permet justement une description normative de son utilisation. Deux points de vue peuvent dès lors être considérés selon que l’on s’intéresse à la simple forme du langage ou à son sens présomptif. D’une part, la rhétorique et la stylistique vont s’intéresser à qui s’adresse le discours et comment adapter celui-ci à l’auditeur. Dans ce cas où le langage vise le vraisemblable, il y va de l’adaptation du discours à la cible visée. C’est le cas de la sophistique comme de la publicité. Comment communiquer l’accord et l’adhésion sur telle ou telle chose. D’autre part, dans le cas où le langage sert à la communication du vrai, il s’agit de prendre connaissance des règles de la démonstration. C’est notamment la logique propositionnelle mise au jour par Aristote qui fournit les canons du raisonnement dans l’articulation du logos et de l’être. Cependant d’où viennent ces règles ? Dans le cas de la logique aristotélicienne, elles supposent l’homologie du discours et de l’être, mais une telle homologie ne peut être postulée qu’en vertu d’un recours à l’intelligibilité même de l’être. D’un autre côté, le rhéteur ou le grammairien peut bien connaître les règles de formation d’un discours, ils ne peuvent qu’utiliser ces règles et non pas remonter jusqu’à leur origine pour les modifier. Les règles du langage, en tant que véhicules de la signification, sont internes à ce langage et obéissent à un paradigme que l’on peut décrire mais non pas changer, sinon au risque de ruiner la possibilité d’une communication intelligible aux autres acteurs de l’échange discursif. La seule possibilité consisterait à inventer un autre langage, idéelle, qui étant totalement élaboré permettrait de définir son économie normative. C’est l’idéal d’une « combinatoire universelle » chère à Leibniz mais que seuls les mathématiques et la logique axiomatique ont pu élaborer. Parfaitement symbolique, leur langage est en soi totalement transparent, ne visant d’autre signification que celle définie par leurs axiomes. Mais quant au langage commun, l’impossibilité d’une re-création ex nihilo interdit une révision totale de ses symboles. Ceux-ci peuvent être manipulés mais non pas changer arbitrairement. Une question se pose par conséquent à nous: qu’est-ce qui rend les règles du langage contraignantes ?

Une hypothèse pourrait être formulée qui répondrait peut-être à la question de la contrainte des règles qui définissent l’utilisation du langage. Nous l’avons vu, le langage peut être utilisé conformément à des règles, mais ces règles doivent être considérées dans leur emploi comme inconscientes. Ce sont ces règles ou ce système de règle qui se communiquent à travers l’expression et qui la rendent possible. Or, de ce point de vue, le langage n’est pas simplement un moyen mais il est aussi une fin de la communication. Autrement dit ce que communique le langage, en dehors de toute visée expressive, c’est avant son propre régime de normativité. Nous serions tenté de dire qu’en un sens le langage se précède lui-même. Nous l’avons vu, le langage repose sur une dualité du signifiant et du signifié. Dans les termes qu’utilise Saussure dans le Cours de linguistique générale, il associe un concept et une image acoustique. Cette distinction ne recouvre que très imparfaitement la distinction idée et mot. En effet, il n’y a pas d’existence du mot en soi, hors de la signification. Le mot est déjà porteur d’une signification, à l’inverse du phonème qui lui n’est rien que son. Or ce son ne fait pas sens par lui-même mais par son association avec d’autres sons. Supposez qu’un mot dans son être matériel, purement sonore, est un sens immédiatement représentatif signifierait qu’il suffit de décomposer le mot pour décomposer la chose en ses éléments. Par exemple, que le dans le son « arbre », le « a » désigne le tronc, le « b » les branches, etc. Ce n’est en réalité nullement le mot dans son existence individuelle et purement sonore qui rend possible la signification, mais son association avec d’autres images acoustiques. Ainsi chaque langue lie les mots selon des règles implicites et conventionnelles mais qui passent pour naturelles à ceux qui les emploient. Mais d’une langue à l’autre, l’utilisation de ces règles ne saurait être exportée. Un exemple simple apparaît dans l’ordre des mots dans une proposition : en latin ou en allemand, l’ordre des mots n’est pas contraignant et le verbe est le plus souvent renvoyé à la fin de la phrase. En français ou en anglais, une telle construction rendrait la communication et la compréhension difficile, voir impossible. On ne peut traduire immédiatement Delendo Carthaga est. Ainsi, les règles de couplage à l’intérieur d’un système de langue règlent l’économie du dicible. Ces règles peuvent être utilisées mais en aucun cas changées sous l’effet d’une décision consciente. C’est dire qu’elles ne sont pas maîtrisables.

 

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