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Rubrique proposée et animée par  François Palacio

Dissertations de philosophie

Le langage est-il un instrument de communication?   (6 heures)

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C’est finalement la possibilité du jugement, et donc du langage, qui fonde la possibilité de l’expérience, et inversement. Mais cette position de sujet du discours n’est possible qu’à condition de se représenter le Je comme signifiant de nous-même. Cette représentation de moi dans le Je de l’énoncé consiste en une identification qui suppose que je sois parvenu à m’opposer aux autres signifiants de mon discours.

Cette opposition n’est elle-même possible qu’en tant que je me suis séparé du monde et de l’objet pour m’apparaître comme moi-même. Or cette séparation suppose elle-même une distinction d’avec le non-moi. Cette séparation est commandé par ce que la psychanalyse freudienne et lacanienne nomme « refoulement originaire ». Ce refoulement met en place le sujet comme lieu d’un désir d’unité à jamais perdu mais sans cesse réactivé dans la poursuite d’objets de retrouvailles, substituts au désir premier d’être l’objet du désir de la mère. La « castration » conduit à nommer la chose perdue en même temps que Je comme sujet de ce désir. Selon une expression de Lacan, le sujet dès lors « représente un signifiant pour un autre signifiant ». En tant que « Je » nomme l’objet de mon désir, « moi » suis déjà écarté de la possibilité de l’être, pour seulement me positionner face à lui comme l’ayant ou ne l’ayant pas. Ainsi le langage est le lieu où « Je » représente « moi » comme sujet d’un désir à jamais méconnu pour autant que « j’ » en parle, sans parvenir jamais à le nommer puisque que mon langage est justement nécessité par la perte de l’objet de ce désir. Cette position de mon être parlé par le langage, où Je n’est que le signifiant d’une impossible réconciliation, c’est ce que Lacan nomme le « parlêtre ».

 Dès lors que la communication de moi aux autres et à la réalité apparaît comme un instrument du langage par lequel celui-ci instaure un monde de significations où je dis tout à fait autre chose que ce qui se dit en fait, comment comprendre alors que la communication quotidienne s’établisse sur le préjugé d’un langage-instrument transparent à celui qui l’utilise ? Que signifie donc que le langage soit conçu comme un instrument de communication ? Nous avons pu l’observer, l’idée d’une communication maîtrisée ou maîtrisable crée un rapport naturel du langage et de la communication. Parce que le langage est un instrument de la communication, il n’y aurait qu’à savoir s’en servir pour communiquer mes pensées ou idées aux autres. Nous avons vu ce que cette instrumentalité du langage recelait en fait : un inversement du rapport, où la communication est un instrument par lequel le langage déploie, dans et par ses règles, la possibilité du dicible et communicable. Or, si la pensée suppose le langage comme véhicule de la signification ne doit-on pas reconnaître que notre pensée même est commandée par ce qu’il est possible ou non de dire ? Dès lors l’aveuglement sur le mécanisme du langage et la détermination qu’il entretient à l’égard de notre représentation de la réalité conduit naturellement à une aliénation de notre rapport à nous-mêmes et aux autres. C’est la fonction de l’idéologie dénoncée par Marx : entretenir chez les sujets pensants et parlant une certaine idée de la réalité à laquelle ils adhèrent et qu’ils considèrent comme naturelles alors qu’elle est commandée de part en part par un pouvoir étranger. L’idéologie pénètre jusqu’au langage même et changeant les significations atteint à la réalité même. Une illustration de ce mécanisme est particulièrement visible dans 1984 de Georges Orwell. Le pouvoir totalitaire de Big Brother vise, pour contenir toute critique, épuise la pensée en changeant  le sens des mots et en faisant disparaître du dictionnaire ceux qui contredisent ses visées. Ce qu’Orwell appelle « la nov-langue » est l’objet d’une manipulation consciente par l’autorité mais nous pourrions nous demander si le propre affaiblissement de notre langage dans une communication standardisée et utilitaire, réduite au plus simple fonctionnel, ne masque justement pas la réalité d’un pouvoir qui se communique à tous sans qu’il soit possible de faire retour sur lui à travers les significations que ce pouvoir nous lègue ? C’est là la critique qu’Adorno opère à propos de la rationalité instrumentale moderne. Dans la Dialectique de la Raison, il montre ainsi que le réformateur le plus honnête qui souhaiterait promouvoir un changement renforcerait, par l’utilisation d’un langage dévalué, le pouvoir qu’il veut abattre. Parce que le langage véhicule les catégories métaphysiques d’une époque – métaphysique entendu au sens de ce qui sous tient le rapport au réel mais n’apparaît justement pas dans ce réel – l'entreprise qui consisterait à utiliser ce langage pour critiquer cette époque achoppe nécessairement dans son projet.

 

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