Les théories
de l’information, issues de la cybernétique, permettent
d’envisager toute communication entre un émetteur et un récepteur
en termes d’échanges d’information. Ce modèle a, en ce
sens, l’avantage de pouvoir décrire n’importe quelle
interaction en terme de flux transmis et traduits dans un échange
codifié, qu’il s’agisse d’une interaction entre différents
éléments physiques se communiquant un travail sous forme
de chaleur, d’une régulation chimique ou biologique ou
bien encore de la diffusion d’un message verbalisé visant
la communication entre deux acteurs doués de paroles. De ce
point de vue le langage articulé ne recèle point de caractères
originaux permettant de l’envisager autrement que comme
une simple communication de signes qui, traduits par le récepteur,
conduisent à la compréhension du message transmis par l’émetteur.
Dès lors le langage ne doit pas se limiter à la simple
profération vocale, c’est à dire à la parole qui
s’exprime dans une langue particulière. Toute
communication, conçue en terme de message émis, diffusé
et traduit, peut être conçue comme langage. Celui qui détient
la clé de codage du message observé ou entendu peut sans
peine déchiffrer sa visée communicative. Ainsi le langage
se découvre comme un instrument de communication, c’est
à dire comme le moyen d’une mise en commun
d’informations.
Or, par là même, la question de la fin du langage devient
celle de son être-moyen. Autrement dit, si le langage
n’est qu’un instrument de la communication, la question
qui nous doit nous retenir est celle-ci : que communique le
langage et comment le communique-t-il ? Si la fin du langage
est d’être moyen de la communication, son utilisation
correspond à un usage technique et renvoie donc au juste
maniement de normes d’utilisations. Mais quelle est
l’origine de ces règles ? Sont-elles élaborées en vue
de la communication ? En ce cas elles supposent que le sujet
du discours soit en position d’une maîtrise potentielle
de son propre langage. Ou bien la communication n’est-elle
que l’utilisation partagée de ses règles ? Dès lors, ce
que le langage met en commun n’est autre que lui-même, la
communication n’étant pas la condition mais la conséquence
du langage. Aussi se demander, ce qui est mis en commun dans
et par le langage, c’est s’interroger sur la fin de la
communication : est-elle immanente ou transcendante à
l’utilisation du langage ?
Afin de déterminer
la fin du langage, c’est à dire dans le but de savoir
s’il est moyen transparent de la communication, il
convient de l’interroger dans son rôle d’instrument.
Mais parce que l’usage de l’instrument suppose
l’emploi de règles, il nous faut aussi interroger les
normes qui articulent la pratique langagière. Le langage
peut-il devenir une technique dont nous serions en droit les
maîtres ? Et s’il s’avérait que cette
utilisation nous est contraignante et non pas volontaire,
que communiquerait le langage ?
La première
question qui doit nous arrêter est donc celle du rôle et
de la nature du langage en tant qu’instrument de la
communication. Cette interrogation doit nous permettre de
poser la question de ce qui se communique par le langage.
Or, avant
toutes choses, il convient de nous demander si le langage
est un instrument naturel. Parler du langage comme d’un
instrument, c’est en effet sous-entendre qu’en tant
qu’il se soutient d’un substrat organique, la phonation,
le langage pourrait être conçu comme la main ou les
jambes, c’est à dire comme permettant une utilisation
consciente et déterminée d’un appareillage naturel et
non séparable du corps qui le porte. De ce point de vue, si
le langage est naturel, il devrait pouvoir servir à la visée
de fins dictées par l’inscription de l’organisme dans
un environnement naturel. Or qu’est-ce qu’un tel langage
naturel pourrait signifier ? Commençons par nous souvenir
que le langage n’est pas simplement entendu de la parole.
Il y a langage partout où il y a échange d’information
et analyse de cette information en vue d’une réaction
attendue. Ainsi, au sein d’une espèce animale, certains
codes sont émis à partir du substrat biologique ; ces
codes sont identifiés par un autre représentant de l’espèce
et appellent une réponse définie. On pourrait prendre
l’exemple de l’émission, chez certains insectes
sociaux, de phéromones permettant d’alerter, par voies
chimiques, le groupe d’un danger potentiel. C’est aussi
le cas dans les parades amoureuses où le message chimique,
visuelle ou sonore, permet la communication d’une possible
rencontre en vue de la reproduction. Nous voyons donc que
dans le cas de la communication animale, le langage ne précède
pas la communication. En effet, celle-ci en tant que déterminée
par l’existence de l’espèce comme universel crée la
possibilité d’un échange d’information dont la fin ne
dépasse pas ce qu’exige l’existence de l’animal en
tant que genre. Dès lors, le message émis ponctuellement
ne témoigne que d’une adaptation à la situation et de
l’actualisation d’une possibilité communicative déjà
présente dans le tout de l'espèce. Ce qui importe dans
l’émission du message par un représentant de l’espèce
n’est pas tant que cet être précis l’est émis mais
plutôt que le groupe soit informé dans son ensemble. L’émetteur
du message, interchangeable avec n’importe quel autre,
voit sa singularité immédiatement absorbée par
l’universalité générique de son espèce naturelle. |