Par, Antonio Zirión Quijano

De la tonalité de la vie 

Essai de Caractérisation Préliminaire

(Traduction de Roland Vaschalde et Charles Cascalès revue par l'auteur)

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      Il n'est pas nécessaire, d'autre part, de préciser que dans l'expression 'tonalité de la vie' le terme de 'vie' est entendu selon l'acception la plus commune et courante. Par contre il faut souligner qu'en ce sens, 'vie' implique une référence, certes bien imprécise, au monde lui aussi compris en son sens le plus banal. De sorte que 'vie' signifie toujours 'vie dans un monde', lequel parfois s'entend plus comme monde vécu que comme vie mondaine. Mais si la tonalité est celle du monde, le monde est ici, depuis l'origine, le monde de la vie, non celui de la vie-en-commun, mais celui de la vie individuelle, ou aussi bien, le monde issu d'une vie. Cette interpénétration de la vie et du monde, ou des vécus et des objets, quand il s'agit d'un vécu affectif et de ses répercussions tonales, se fait sentir jusque dans le langage qu'Husserl lui-même utilise quand il se réfère à elle. Dans un passage très connu de la Cinquième recherche logique où il examine la question de l'existence de sentiments intentionnels, il expose le vécu d'expérience dans lequel un certain événement " apparaît comme recouvert d'un voile rosé " et un autre " comme revêtu d'une couleur triste " ; mais (comme nous le faisons tous) il utilise alors les termes d' " événements heureux " ou " événements tristes " comme s'il n'y avait là aussi rien à expliquer et à scruter analytiquement : car enfin les événements ne sont évidemment pas susceptibles de ressentir ni joie ni aucune tristesse. 
Mais si l'on peut donc affirmer que la tonalité de la vie est aussi bien celle du monde, des circonstances, peut-on pour autant l'identifier à ce que nous appelons normalement 'l'ambiance' ou 'l'atmosphère' d'un lieu, d'une situation, d'un 'événement ? Il serait très instructif de pousser jusqu'au bout la distinction mais, pour nous en tenir à l'essentiel, nous dirons seulement que l'atmosphère est toujours une réalité collective, susceptible d'être vécue et partagée en commun par un groupe de sujets. Alors que la simple considération des différentes manières singulières de 'vivre' ou d'apprécier la même ambiance nous aide à comprendre que la tonalité, elle, constitue toujours une réalité individuelle et impartageable. Deux amies, au cours de la même soirée, partagent objectivement la même atmosphère, mais l'une sur un fond d'inquiétude pour l'examen qu'elle doit passer demain et l'autre libérée pour l'avoir passé et réussi le matin…Les variations des tonalités dépendent de différences dont nous ne pouvons parler qu'en faisant référence à leurs facteurs constitutifs ou déterminants, aisément compréhensibles. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'une analyse exhaustive de la situation et de notre compréhension de cette variabilité soit en rien facile.
Lorsque nous nous interrogeons sur ces facteurs, il apparaît tout de suite une des caractéristiques principales de la tonalité, à savoir sa fonction omnienglobante et omnicompréhensive (que nous avions considérée comme allant de soi jusqu'ici). Personne ne soutiendra, et moi moins que personne, que l'expérience ou la dimension d'expérimentation de la tonalité de la vie constitue le caractère le plus profond ou le plus fondamental de l'existence, le plus élevé, le plus significatif, le plus 'important' ; il possède pourtant cette propriété qui consiste en ce pouvoir d'accueillir ou absorber en lui tout autre type et toute autre dimension d'expérience, toute connaissance, tout sentir, toute pratique et tout vouloir, dès lors qu'ils ont pour le moi ce que nous pourrions appeler une 'valeur' ou une 'signification affective'. A ce qu'il semble, la tonalité accepte aussi bien tout vécu ou fragment de vécu quelle que soit sa région d'origine, qu'il provienne : des structures et de l'organisation perceptive-cognitives ( de l'intellect ou de la raison théorique), quel qu'en soit le niveau et la catégorie ( qu'il faille ou non les décrire selon l'approche husserlienne) ; des structures et de l'organisation de la vie émotive et évaluatrice, quel qu'en soit le niveau et le statut hiérarchique (qu'il faille ou non les décrire selon l'approche de Scheler) ; des structures et de l'organisation de l'avoir, du pouvoir et du valoir ( qu'il faille ou non les décrire selon l'approche de Ricoeur) ; des structures de la vie intersubjective, communautaire, ( qu'il faille ou non les décrire selon l'approche de Schutz). Etcetera… Tout cela, et bien autre chose, ne peut ici qu'être présupposé ; le thème général de l'intégration de la tonalité, tout comme les détails selon lesquels s'effectue l'apport de chaque type de facteurs, de même que la question de la possibilité de parler d'une variété ou de types de tonalités en accord avec les facteurs de variation et leurs 'poids' relatifs dans la conformation de la tonalité, doivent faire l'objet d'une recherche particulière. Ici trouve également sa place la question de savoir quels réquisits doivent intervenir pour qu'une expérience ou une dimension expérimentale soient intégrées dans la tonalité, question pour laquelle je ne dispose pour le moment d'aucune réponse hormis la mention purement formelle et abstraite de cette 'valeur' ou 'signification affective' - notion même qui n'est pas encore bien définie et qui implique même une pétition de principe. Nous sommes alors reconduits vers les questions qui se trouvent au fondement de toute cette problématique : quelle sorte d'affect ou d'affectivité se trouvent t-il au cœur de la tonalité et sont-ce les mêmes qui interviennent dans le présent vivant et dans sa manifestation originaire.

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