Par,
Antonio Zirión Quijano
De la
tonalité de la vie
Essai de
Caractérisation Préliminaire
(Traduction de Roland Vaschalde et Charles Cascalès revue par l'auteur)
Conférence donnée en mai 2002 lors du deuxième colloque du Cercle latino-américain de phénoménologie qui s'est tenu à
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Mais peut-être la compréhension et l'analyse complète de ces questions
devront-elles être ajournées tant que nous ne disposons pas de ce que
nous pourrions appeler une phénoménologie intégrale, au plus haut point
concrète ou synthétique, qui aurait comme condition la résolution préalable
de toutes les interrogations de la phénoménologie ekstatique, de la phénoménologie
génétique, jusques et y compris, si elle existe, de la phénoménologie
générative, et de toute phénoménologie qui se préoccupe seulement de
quelque 'partie abstraite' ou d'une seule sphère, dimension ou condition
de la vie de la conscience. Comment à défaut, pourrions-nous en effet
affronter la tache de décrire la synthèse effective de toutes les
'parties', de tous les 'éléments', et 'dimensions' de la vie concrète
et rendre compte en dernier lieu du " sens qu'a le monde pour nous
tous avant même tout acte de philosopher " ? Car en effet il semble
que ce soit seulement dans une telle synthèse, par elle ou avec elle,
qu'intervienne ou surgisse la 'tonalité de la vie'.
Pour terminer, un mot sur le manque de mots : la tonalité fait partie de
ces choses qui, pour le dire avec Alfonso Reyes, " souffrent d'un
mutisme secret et d'un enfermement solitaire ". A l'évidence la
tonalité vécue, si en fin de compte nous devons accepter son existence,
mais aussi la tonalité dans sa révélation ou manifestation mémorative
(la 'trace' ou 'l'écho' de la tonalité) qu'il est impossible de nier,
participent du domaine de l'indicible. Sa qualité, sa signification, sont
réfractaires au concept. Mais elle n'en revêt pas pour autant la
prestigieuse aura des hôtes communément admis au royaume de l'ineffable
(je veux parler des expériences mystiques) du fait qu'elle conserve, avec
les significations de bien d'autres vécus ou éléments de vécus dont
nous n'avons pas traité ici, tout son caractère d'humilité, de réalité
ordinaire et quotidienne. Ce qui ne l'empêche pas, en un sens qu'il
faudrait être aveugle pour ne pas voir mais qu'il est impossible de
montrer ici, de constituer avec eux l'aliment, le soubassement, l'horizon
permanent de toute expression et communication. Certes il ne semble pas
encore nécessaire aujourd'hui de défendre les droits des expériences
antéprédicatives face à leur assujettissement aux multiples, et généralement
non-critiques, 'tournants linguistiques'. Mais nous sentons bien qu'il
manque encore la reconnaissance pleine et entière de ce que toutes les
expériences 'extra prédicatives' ne sont pas en soi antéprédicatives,
et que le problème de leur accession au statut langagier n'est pas le
seul digne d'intérêt. D'autant plus que pour rendre compte du phénomène
du langage il est également important, voire essentiel, de comprendre la
présence et la fonction de son horizon 'extralinguistique' bigarré,
permanent et toujours mutique. Pour cela une phénoménologie de
l'expressivité et du langage devra savoir ménager une place pour une phénoménologie
de l'ineffable ; et ceci non seulement vis-à-vis des tonalités que nous
venons d'évoquer mais de l'indicible sous tous ses aspects. Non pas comme
l'on concède de mauvaise grâce une place à un nouveau venu, mais comme
une condition vitale pour se réaliser elle-même.
Antonio
Zirión Quijano azqm@prodigy.net.mx
enseigne la philosophie aux universités de Mexico et
Morelia.