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Par, Antonio Zirión Quijano

De la tonalité de la vie 

Essai de Caractérisation Préliminaire

(Traduction de Roland Vaschalde et Charles Cascalès revue par l'auteur)

Conférence donnée en mai 2002 lors du deuxième colloque du Cercle latino-américain de phénoménologie qui s'est tenu à Bogota

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      Un moment donné, nous voici regardant derrière nous. Peut-être vivions-nous alors dans une autre rue, un autre quartier, une autre ville. Nous nous souvenons d'un coin de rue, de quelques façades de maisons ou de bâtiments, de la couleur d'un carrelage, du bruit de la teinturerie voisine, de la fragrance du pavé après la pluie. Des choses de ce genre auxquelles, pour peu que nous le voulions, nous pourrions ajouter bien d'autres de même nature. Notre environnement d'alors n'était pas semblable à celui dans lequel se déroule notre vie actuelle. Mais ce n'est pas tout. Nous vivions avec d'autres personnes, peut-être avec nos parents, ou seuls, ou bien encore la famille avait-elle une autre composition qu'aujourd'hui. Notre sœur n'était pas encore mariée, notre frère était interne en province, nous étions encore un jeune couple, sans enfants. Nous faisions d'autres choses. Nous allions dans une école éloignée, avec des horaires différents. Les cours finissaient très tard. Souvent il pleuvait. Il fallait se presser pour ne pas manquer le dernier tramway. Presque toujours, nous faisions le trajet avec notre ami Untel, qui habitait près de chez nous. La radio diffusait d'autres musiques. La vie était différente. Très différente, même. Et l'on pourrait continuer à pointer ainsi les dissimilitudes dès lors que notre mémoire en serait capable. En général l'exercice est plutôt décevant, peut-être parce que nous ne faisons pas beaucoup d'effort. Mais en réalité s'efforcer n'est en rien nécessaire pour capter tout à coup, par-delà, ou en deçà, de toutes ces différences, dans une sorte de fulgurance presque toujours fugace, cette 'saveur', cette 'couleur' particulières que la vie possédait alors. Et quand je dis " par-delà " ou " en deçà " de ces différences cela signifie, plus précisément, de chaque particularité ou élément dont cette vie était constituée. Soyons plus précis encore : parce que cette tonalité ne se trouve ni par-delà, ni en deçà, ni à côté, mais existe seulement en tant qu'elle n'est pas en un seul d'entre eux.
Il se peut aussi que nous vivions toujours dans la même maison. Peut-être ne l'avons-nous jamais quittée. Sauf qu'avant nous sortions fréquemment pour nous promener alors que nous ne le faisons plus jamais. Autrefois, avec un groupe d'amis, nous passions la nuit à chanter et à jouer de la guitare. C'était ici même, dans cette pièce où il n'arrive plus rien désormais de semblable parce que les amis se sont éloignés, que la femme avec qui nous vivons préfère le rêve à la guitare, ou qu'il faut faire silence pour ne pas gêner la mère malade. Le voisinage aussi a changé, comme les commerçants. La papeterie où nous achetions les images à collectionner des champions du monde de football n'existe plus ; et puis, d'ailleurs, que nous importe maintenant de coller des images dans un quelconque album! Nous avons pris goût à la musique classique. C'est une autre époque. La maison est toujours identique mais la vie y est différente. Comment comptabiliser la quantité de changements infinitésimaux qui s'accumulent dans une vie et finissent par la modifier. Dans l'environnement, et ses multiples dimensions ; dans nos relations avec lui, avec les autres, avec nous-mêmes ; dans nos activités, nos intérêts, nos espoirs, nos craintes, attentes, rêves, souvenirs : dans tout ce qui fait la vie apparaissent constamment des changements innombrables. Mais nous ne sommes pas tenus de les convoquer un à un pour saisir que leur singulière combinaison confère à la vie, à chaque moment, une certaine 'tournure', un certain 'arôme', une certaine 'texture'. Et c'est comme si tous se définissaient, comme par eux-mêmes, dans ce que j'ai appelé tout à l'heure " la saveur " ou " la couleur " de la vie. Cela que j'ai été amené depuis quelques années, faute de terme plus approprié, pour moi-même ou aux cours de discussions informelles, à nommer ' la tonalité de la vie'.

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