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Par, Antonio Zirión Quijano

De la tonalité de la vie 

Essai de Caractérisation Préliminaire

(Traduction de Roland Vaschalde et Charles Cascalès revue par l'auteur)

Conférence donnée en mai 2002 lors du deuxième colloque du Cercle latino-américain de phénoménologie qui s'est tenu à Bogota

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      La métaphore de la couleur n'a qu'une valeur relative. Elle apporte avec elle des problèmes qu'il est impossible de passer en revue ici. Elle est pourtant d'usage courant et plus pratique que d'autres pour localiser le 'phénomène' de la 'tonalité de la vie' sur lequel je souhaitais attirer l'attention. Je l'appelle 'tonalité' et non 'couleur' en partie pour le distinguer de cette propriété des 'choses' (au sens large) considérées individuellement. Il s'agit de souligner que non seulement chaque 'chose' que nous rencontrons dans notre vie possède toujours une certaine 'couleur', aussi dérisoire ou éphémère qu'elle soit, mais que la vie comprise comme un tout, ou le monde qu'elle inclut ou qui en est issu, sont à chaque instant et dans chacune de leurs phases dotés d'un 'caractère affectif', d'une 'couleur'. Ce que je nomme, précisément 'la tonalité'.
Or, la première chose qui se remarque lorsqu'on prête attention à la tonalité, c'est qu'il est justement bien difficile de la remarquer. Au point de penser qu'elle appartient à ce type ou ce groupe de phénomènes qui aiment à passer inaperçus. Plus invisibles, peut-être, pour des yeux de philosophes que pour ceux des poètes ou des romanciers ; ce qui, soit dit en passant, devrait ouvrir la voie à des approches ultérieures. En tout cas, la 'tonalité de la vie', malgré une des acceptions de son nom, ne semble pas d'une grande visibilité. Bien que certaines expériences, à être examinées avec attention, permettent de l'appréhender avec une clarté suffisante…J'en signalerai trois, qui nous aideront au surplus à poser le problème de la relation entre cette 'tonalité de la vie' comme telle et ses formes de manifestation, qui garde ses mystères.

La première, rarement évoquée auparavant, fut élevée par Proust à un tel degré de célébrité qu'il est désormais commun de l'associer à son nom : il s'agit de l'évocation de l'enfance produite par la madeleine trempée dans une tasse de thé. Mais qu'est-il évoqué par là ? A force d'efforts intentionnels, le protagoniste parvient à 'faire sortir' de sa tasse de thé toute une galerie de choses, personnages, lieux et scènes qui firent partie de son enfance. Mais quelques scènes et personnages de l'enfance, ce n'est pas l'enfance. Le monde du petit garçon, même s'il pouvait être représenté aux yeux de l'adulte dans le moindre de ses détails objectifs, ne serait pas encore le monde que vécut le petit enfant s'il lui manquait le sentiment affectif particulier que j'appelle 'la tonalité'. Dans l'expérience mémorative que relate Proust, cette tonalité est déjà présente préalablement au surgissement des véritables souvenirs rappelés par l'effort de mémoire, et ce depuis la première gorgée de thé qui ne produit rien de plus qu'une émotion fugace et une saturation du moi par un " plaisir délicieux ", " pareil à l'amour ", " d'une essence précieuse. " Généralement, à l'occasion de ce genre de fulgurance, ne se présentent à la mémoire que quelques motifs ou fragments de ce monde vécu : un certain patio, un escalier, l'ombre d'un mur, une voiture miniature d'enfant, que sais-je…Mais ce n'est pas cela qui bouleverse le moi ; ce qui le bouleverse, l'emplissant de nostalgie, de bonheur ou de désarroi, c'est la reproduction ou la reviviscence fulgurante, non du monde ancien mais de sa tonalité ; qu'il avait et qu'il a peut-être encore…C'est la tonalité de l'enfance que nous délivre le goût de la madeleine trempée dans le thé, l'odeur des mandarines, un refrain inattendu, et qui fonctionne comme leur clef ou chiffre. Mais cette révélation repose, très clairement, sur le contraste avec notre vie actuelle, c'est-à-dire avec la tonalité de notre vie actuelle - qui est presque toujours, soit dit entre parenthèses, beaucoup plus pâle que celle de l'enfance.    

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