Trois
projets scientifiques du visible
La
transparence est au centre de trois projets scientifiques: le projet Génome,
Biosphère II et Artificial Life.
1)
Le projet Génome consiste à cartographier (mapping), c'est-à-dire
à localiser les gènes, àffaire de vision s'il en est. Ainsi localisés,
on peut ensuite aller jusqu'au séquençage (sequencing), c'est-à-dire
analyser chacun des éléments de chaque gène pour en dégager toutes les
fonctions (affaire de vision et de lecture). Le réel est ainsi défini
par sa nouvelle détermination: le gène. Le réel est alors revenu, après
la tornade postmoderniste qui avait prétendu sa disparition. Or, si le réel
(et par lui, comme nous le verrons, l'identité et l' histoire) nous est
rendu par la science, les moyens mis en œuvre sont vision et lecture.
2) Il en est de même dans le cas de Biosphère
II. Transparence ici encore à travers les hangars de verre de Biosphère
II en plein désert d'Arizona. Moyennant finances les visiteurs et leurs
familles peuvent observer comment vivent trois mille espèces végétales,
quelques espèces animales et huit humains pendant deux ans enfermés dans
cette bulle. Les «biosphériens» - comme on les appelle - doivent
respirer l'oxygène produit par les plantes, se nourrir des végétaux et
animaux conte- nus dans cette nouvelle arche de Noé. Ils travaillent et
vivent sous le regard de tous. Tout ce qu'ils ingèrent (air, aliments)
est analysé et dosé, Tout ce qui se passe à l'extérieur de leur corps,
comme à l'intérieur, est contrôlé.
L'homme parfait du Projet Génome était rendu transparent par l'analyse
des gènes. L'homme par- fait de Biosphère est lui-même doté d'un corps
transparent et parfait, mais en plus il vit dans une planète dépolluée,
purifiée, rendue elle-même transparente et parfaite. Où l'on voit que
la métaphore du visible permet un contrôle social général sur le modèle
du «Panopticon» de Jeremy Bentham, analysé par Michel Foucault. C'est
un Panopticon rendu à son paroxysme par les moyens de la science et qui
nous pose d'énormes problèmes politiques, économiques et sociaux.
Sait-on par exemple qu'en Californie (qui est l'Amérique de l'Amérique)
les tests prénataux sont obligatoires, que déjà les assureurs refusent
d'assurer les enfants qui ne seraient pas« parfaits », qu'ainsi les
familles pauvres n'ont que le choix de tuer le fœtus ou d'accepter de
soutenir toute la vie un enfant, plus tard un adolescent ou un adulte,
dont le seul tort serait de risquer un cancer à trente cinq ans ou
un infarctus à quarante cinq? Telle est la situation aux États-Unis, où
35 à 37 millions d'Américains ne sont couverts par aucune assu rance
publique ou privée. Mais cette situation se rencontrera bientôt en
Europe, dans les pays qui disposent d'une Sécurité Sociale déjà
lourdement grevée: demain une famille qui enfanterait un enfant imparfait
pourrait se le voir reprocher par la collectivité. Pourquoi la
collectivité devrait- elle payer pour le confort affectif et spirituel
d'une famille qui aurait refusé l'avortement, mal- gré les « défauts»
du fœtus? On imagine très bien à court terme ce type de débat où
affleure l'exigence de surhumanité (14).
3)
Mieux encore: la surhumanité trouve sa pierre d'achoppement et son
point d'orgue dans la vie artificielle. Artificial Life est
le fruit des travaux de Christopher Langton et de ses amis au Santa Fe
Institute. Ils installent dans leurs ordinateurs des populations entières
d'êtres artificiels, les dotent d'un sexe leur permettant de faire
l'amour, d'avoir des enfants. Ces populations se nourrissent (on leur
donne « à manger»), ont des maladies, déclinent et meurent, à moins
qu'on ne les programme immortelles. Langton nous a dit: « Nous sommes des
créateurs, des Dieux, nous pouvons créer nos propres successeurs. Ces êtres-là
nous succèderont au prochain siècle. Ils seront immortels et parfaits».
Il Y a toujours ici du visible et du lisible. On dirait même qu'il n' y a
que cela. Le produit de toute intel ligence artificielle est seulement
lisible et visible. Lisibilité et visibilité calculées. C'est cela la
vie, veut-on nous faire croire. Une vie ramenée à un procès
d'information, totalement contrôlable par un programme électronique.
Vers la
page 5: La
Surhumanité nous rend le réel, l'histoire et l'identité
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(14) Le Comité
français d'éthique a rendu un avis en octobre 1995 proscrivant tout
usage des tests génétiques que pourraient faire les employeurs et
assureurs.
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