La
Surhumanité nous rend le réel, l'histoire et l'identité
Il n'y a
plus de réel, plus d'histoire, plus d'identité, clamaient à tue-tête
les postmodernistes et les tenants du simulacre généralisé. Ils
confondaient depuis longtemps la réalité avec leurs propres dis- cours.
Mais surtout aujourd'hui la science dissipe leurs illusions. Le corps,
comme l'avait pressenti Jean-François Lyotard (15), prophète du
postmodernisme, a été le lieu de résistance à la postmodernité, puis
le lieu de la reconquête du réel, de, l'histoire et de l'identité.
1)
Une réalité plus vraie
La réalité
revient, par-delà toutes les fables racontées sur la simulation. Elle
revient sous sa forme élémentaire de découverte. Elle revient sous la
forme nouvelle de la« génération» (ou invention).
= Une réalité découverte
D'abord et très banalement, si les gènes sont à l'origine de prédispositions
à la maladie (même si l'histoire de l'individu joue sa partie et même
si presque toujours il s'agit d'interaction entre gènes plus que
d'efficience de gènes isolés), il s'agit de les découvrir. Ils sont là.
Ils ne sont pas pure invention de l'esprit ou simulation. Ils sont
mesurables et localisables. On les découvre peu à peu. Qu'on les
qualifie de réalité en dernière instance, au mépris des arguments des
biologistes cellulaires (16), est le prix à payer à l'idolâtrie, c' est
à dire à l'utopie totalitaire de la Grande Santé. Non, ils ne sont pas
en dernière instance, puisque l'histoire individuelle et de groupe peut
prétendre aussi à ce titre d'instance ultime.
Reconnaissons seulement que si toute réalité ne trouve pas son origine
dans la génétique, une partie du réel s'y trouve et que ce réel-là
est objectivable, isolable par l'analyse. Réel prêt à être découvert,
selon l'attitude la plus classique de la science. Car il ne s'agit pas de
construction, de supposition, de simulation, de « valoir pour», de «
tenant de », mais de l'origine incon- testable, même si elle n'est que
partielle, de très nombreux comportements.
= Une réalité générée
C'est dans le champ de la simulation et du virtuel que l'on trouve le plus
fréquemment ce phénomène. Et, en particulier, d'abord dans l'Artificial
Life de Christopher Langton (17). Il nous dit expressément qu'il
s'agit de générer des comportements. Il veut suivre la démarche de Von
Neumann et passer de l'analyse des mécanismes de la vie à ceux de la
logique de la vie. Il entend se servir des calculs de feed-backs
artificiels, opérés par Wiener, pour découvrir la nature des mécanismes
similaires opérant dans les organismes vivants. Il n'y a pas dans ces
cas-là de contrôleur central, mais un contrôle distribué. Langton étudie
les comportements de troupeaux: il dit qu'il «dévoile» ici ces
comportements par le calcul. Disons plutôt qu'il les dévoile tout en les
générant, puisqu'il s'agit d'un réel d'artefacts. Bien entendu Langton
en rajoute en affirmant péremptoirement qu'il crée une vie réelle,
vraie, alors qu'il ne crée qu'un vrai procès de vie.
Ces excès sont le prix à payer pour ériger l'utopie de la Grande Santé.
Mais ce réel généré ne peut être mis en doute. Philippe Quéau, qui
ne répète jamais les billevesées américaines, nous répète pourtant,
sans lasser, que le réel est construit mathématiquement; qu'il faut
songer à une sorte de néo-écriture qui opère par métamorphose de
langage; que les hybrides et les monstres sont des jeux de langage. Il ne
s'agit pas de vie pour Quéau, mais de quasi-vie, marquée par une
auto-finalité, mais qui échappe au sens toujours hétéro- final. Il
s'agi t d'êtres intermédiaires, messagers entre nature et surnature, et
de caractère quelque peu angélique (métaphore voulue par l'auteur).
Vers la
page 6: L'histoire
dévoilée du vivant - Une Histoire inventée
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(15) Jean-François
Lyotard, La Condition postmoderne, Paris, Galilée, 1978 ; Moralités
postmodernes, Paris, Galilée, 1993. (16) Richard Lewontin ou Henri
Atlan.
(16) Richard Lewontin ou Henri Atlan
(17) Christopher Langton, Artificial Life. The Proceedings of
anlnterdisciplinary Workshop on the Synthesis and Simulation of Living
Systems, Los Alamos, Santa Fe Institute, 1988.
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