On
a vu que deux réalités s'opposaient et se complétaient : la
réalité dévoilée et la réalité générée. Ici de même
deux histoires sont-elles aux prises: une grande histoire révélée,
dévoilée, du vivant et une grande histoire inventée et
produite.
=
L'histoire dévoilée du vivant
Il s'agit ici bien sûr de l'histoire de l'homme restituée
dans l'histoire plus large de la Terre. Les créateurs de
Biosphère II entendent donner une perspective historique à
une voie où Homo Sapiens et Biosphère 1 (La Terre)
peuvent se transformer eux-mêmes à partir de la durée de
vie d'une planète localisée jusqu'à une immortalité
cosmique (18). Ils passent alors en revue, dans une superbe
mise en scène, les principales étapes historiques de l'évolution
cosmique pour voir d'où notre biosphère vient et où elle
pourrait être conduite. On rappellera très brièvement ces
étapes, sans les développer ici (19). La vie est née dans
la biosphère depuis trois milliards six cents millions d'années.
La technosphère est apparue avec l' homo sapiens (40
000 ans). La force de ce vecteur s'est accrue depuis 200 ans.
La révolution industrielle, selon Lewis Mumford (20), a
produit une culture machinique qui est la contrefaçon d'une
nature analysée par l'homme. Les subdivisions de cette
technosphère se succèdent: on est passé de l'ère éotechnique
à l'ère paléotechnique, et au XX' siècle à l'ère néo-
technique. Lewis Mumford prédit la prochaine ère où nous
sommes, l'ère biotechnique. Tandis que les auteurs de Biosphère
II prédisent encore une prochaine ère, la noogénique
ou ère d'une intelligence qui fait la synthèse de la biosphère
et de la technosphère. Tout vient culminer ici dans la beauté,
intérêt suprême de la valeur.
On doit
ajouter ici le rôle de la génétique, vue par les prêtres
du projet Génome, comme science des origines de la vie. Si la
vision du « Holy Grail » est contestable, puisque l'ADN,
système d'information, n'est pas la vie (voir Richard
Lewontin et Henri Atlan), la force de l'image reste, adossée
comme elle l'est à la réalité: qu'est-ce qui nous différencie
non point d'un chimpanzé ou d'une souris (très peu de
choses), mais même d'une bactérie? Nous relevons d'une
origine identique, issue de la soupe primitive.
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Une grande histoire inventée
Le système
solaire va se détruire, des corps célestes peuvent venir
heurter la Terre. L'homme est un pré- dateur qui cause
beaucoup de dégâts et peut détruire, par la bombe atomique
ou des excès industriels de toutes sortes, les grands équilibres
écologiques.
Biosphère II est donc une étape dans l'évolution de Biosphère
l et dans la théorie générale de l'évolution. Puisque la
Terre doit disparaître tôt ou tard à moins de participer à
l'envoi de biosphères filles pour peupler d'autres régions
du cosmos, Bio II et les autres seront les réponses à la
surpopulation de la Terre et aux dangers qui la menacent.
Partir. Partir en premier lieu sur Mars. Et Bio Il sert à expérimenter
la vie dans les prochains vaisseaux de l'espace et dans les
prochaines colonies sidérales. Que le projet d'établissement
sur Mars ait de forts relents autogestionnaires, sur le modèle
des utopies du XIXè siècle et des livres de science-fiction
qui influencent fortement nos auteurs, ne change rien à
l'affaire. L'autogestion est indissociable d'une vision écologique
et cosmologique (21).
La science et
son idéologie font partie intégrante de la prophétie. Elle
seule réconcilie technique et nature. Par elle, l' homme
total peut enfin émerger. L'homme total, immortel, logé dans
l'immortalité du vivant, doté d'une longue vie heureuse et
en grande santé, réconcilié avec l'Histoire (la grande) et
avec la nature. Homme capable de modifier ses propres gènes
et de créer ses héritiers, y compris ces êtres hybrides et
intermédiaires de l'Artificial Life.
Vers
la page 7: L'identité
refondée, cette esquisse d'ange, de surhomme - Bibliographie
________________
(18)
Vladimir Vernadski, The Biosphere, Paris, Félix Alcan,
1929.
(19) Pour plus de détails, voir Lucien Sfez, La Santé
parfaite. Critique d'une nouvelle utopie, op. cit.
(20) Lewis Mumford, Technique et civilisation, Paris,
Seuil, 1955.(23) Il se nomme Bernard Zabel, voir ibid., p.
144.
(21) Nous avons établi ce point dans le chapitre IV «<
Harmonies autogestionnaires ») de La Politique Symbolique,
Paris, PUF, 1993, pp. 227-262.
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