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"Amour sacré de la patrie": il est possible de
dire que c'est la fonction essentielle de la religion civile:
mettre au service des lois la foi des citoyens. Donner aux lois
une force qu'elles n'ont pas en elles mêmes. En effet la loi est
un être de raison qui, par sa double universalité porte le sceau
de la raison. Mais si, effectivement, rien de grand ne s'est fait
sans passion, il reste que rien de grand ne s'est fait sans la
raison. Il est peu contestable que les passions utilisent la
raison ... Mais dans une cité la raison a besoin des passions républicaines,
des forces qu'elle n'a pas, de cette ardeur des citoyens animés
par l'amour sacré de la patrie. Or la force des passions tient à
la générosité restreinte qui les anime.
Comment étendre la générosité restreinte à la défense des
lois, c'est le problème politique fondamental. Hume, pragmatiste
en cela, pensait qu'il fallait intéresser les magistrats à la
justice, en les payant bien et en les mettant ainsi à l'abri des
tentateurs, de ceux qui voudraient les corrompre en s'adressant à
leurs appétits.
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Remarquons que, si on ne considère que la forme du premier
Contrat Social ( Discours sur l'origine de l'inégalité , deuxième
partie), l'ordre, l'invention prodigieuse du riche, c'était de
proposer un accord aux pauvres en leur faisant croire qu'ils
avaient intérêt à défendre l'institution d'une propriété
civile garantie par les lois, et en leur laissant espérer
d'avoir un jour quelque propriété ...
Ce qu'on leur demandait c'était d'aimer des institutions qui
assureraient définitivement ou presque leur pauvreté.
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Héraclite disait: "Il faut que le peuple combatte
pour sa loi."
En effet, que le contenu de la loi soit juste ou injuste, par
l'ordre qu'elle commande, la loi joue le rôle d'un pédagogue.
L'idéal serait bien entendu qu'elle ait pour fin le bien commun
ce qui déjà lui assurerait une légitimité. C'est le sens du
deuxième Contrat Social. Dans ce dernier cas, en combattant pour
la loi ou pour son pays le peuple combat pour lui même s'il est
dans un État républicain.
Par là, on
a bien obtenu l'élargissement de la générosité restreinte. En
obéissant à la loi qu'il s'est prescrite l'homme devient un
citoyen qui, en combattant pour tous, combat effectivement pour
soi. Le ennemis ne viennent-ils pas ... égorger nos femmes et nos
enfants ...
=
Rousseau tente d'assurer, par la religion civile, le
passage de l'homme, soucieux de soi, de ce qui vient de lui (=
enfants) , de ce qu'il aime (= femme), au citoyen sujet des
lois, qui n'obéit à personne d'autre qu'à la loi et n'a donc
pas de maîtres: un tel citoyen se considère avec les autres
citoyens comme gardien des lois comme de sa vie car sa liberté
est attachée à l'existence des lois; il n'y a pas de liberté
sans lois, la liberté suit le sort des lois affirme Rousseau. Et,
d'ailleurs, qui pourrait nier que la liberté, cet objet de
croyance et de foi, caractéristique essentielle de toute
conscience soi, qui pourrait nier qu'elle est le bien le plus précieux
d'un individu? Au point que la seule devise d'un homme et d'un
citoyen est : la liberté ou la mort!
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On pourra donc toujours compter sur la générosité
restreinte, dès que chacun prend conscience, par sa
raison, qu'il oeuvre à son propre bien en défendant la
république et l'enceinte sacrée des lois.
=
Pour ne pas laisser les
lois réduites à elles mêmes, pour renforcer l'autorité des
lois on ne peut compter que sur l'origine de toute énergie, sur
le sentiment et sur la passion: pour faire mieux que les religions
et leurs guerres, il faut emprunter leurs armes; cela permettra de
leur imposer cette mesure qu'elles n'ont que trop
tendance à fuir. Comme dans le Contrat Social, les religions
sacrifient leur liberté naturelle de faire tout ce qu'elles
veulent si elles le peuvent dans une république et reçoivent en
échange une liberté civile assurée par les lois.
L'instrument est pour Rousseau la religion civile suffisamment
forte, suffisamment universelle, suffisamment formelle et
respectueuse des démarches privées pour assurer la sécurité,
l'égalité, la liberté de tous.
=
Rousseau nous apparaît donc comme un moderne qui pose des
problèmes en moderne, mais qui, pour leur résolution utilise les
anciens: on revient à la conception d'une religion par république
pour sauver le patriotisme et l'ardeur des citoyens en inspirant
l'amour de la patrie. En contrebalançant l'influence ,
pernicieuse aux yeux de Rousseau, de la religion chrétienne qui
va chercher des ordres chez un chef étranger et qui écartèle
l'homme de foi qui obéit à Rome et le citoyen qui obéit aux
lois de son pays. Il s'agit de faire tout pour que l'homme ne soit
pas mis en contradiction avec lui même. La philanthropie, l'amour
de tous les hommes, affaiblit le patriotisme. La philanthropie est
plus facile que le patriotisme qui défend la république et les
frontières.
Rousseau, pour la solution, s'inspire de l'ordre,
très en faveur chez les anciens. C'est la loi qui impose un ordre
ce qui interdit qu'un homme impose sa volonté particulière. Il
ne peut y avoir de liberté religieuse pour tous sans un ordre, un
commandement valable pour tous, une sorte de code qu'est la
religion civile: la caractéristique essentielle de la religion
civile sera en conséquence d'interdire l'intolérance.
Par J. Llapasset |