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On ne s'étonnera plus que laïcité se soit formée à
partir du grec: Laikos, qui relève du peuple, ce qui
appartient au peuple, le peuple des citoyens étant le Souverain,
selon Rousseau.
La laïcité est une idée au sens où elle exige un effort pour
transformer une réalité en fonction d'un idéal, ce à quoi rien
de sensible dans la réalité ne correspond parfaitement. S'il y
avait une correspondance parfaite, on ne parlerait plus d'idée
mais d'existence susceptible d'être connue. Or la seule manière
de faire exister une idée c'est de l'inscrire dans une loi, dans
un commandement à respecter qui produit l'ordre bien ajusté à
l'idée.
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L'adage de la royauté, "l'Église ne commande pas au
Roi" était déjà un premier pas vers la laïcité, premier
pas titubant car le Roi tenait son autorité de Dieu. Mais comme
être sensiblement affecté, il donnait la part belle au profane,
ne serait-ce que par son exemple ... Cependant, c'était déjà un
ordre, une délimitation de deux domaines, celui du sacré et
celui du profane. On sait que dans l'affaire du Tartuffe de Molière,
le roi avait fort à faire avec les pressions de la compagnie du
Saint Sacrement qui était peuplée d'une multiplicité de
confesseurs, toujours prêts à écouter les péchés de ces
dames. Dans un monde spécifiquement chrétien, le pouvoir clérical
était en fait suffisant pour contrebalancer un instant celui du
pouvoir temporel des rois. On remarquera que le pouvoir clérical
n'est pas la foi en Dieu, mais qu'il s'enracine dans la notion
d'intermédiaire entre Dieu et l'homme, de "pontifex",
celui qui assure le passage, qui fait le pont entre, l'intermédiaire
entre le hommes et Dieu, le Christ parfait, et les prêtres. Un
genre d'intermédiaire imparfait qui se sert souvent au passage,
pour son enrichissement, pour sa volonté particulière ou même
pour ses plaisirs. Leur pouvoir était d'autant plus fort que la
noblesse de la croyance en Dieu dégénère parfois en bassesse de
la crédulité, sur laquelle il est toujours possible de jouer, même
contre les paroles du Christ. (On est bien allé jusqu'à vendre
des indulgences, ce qui a provoqué une forte protestation d'une
partie des chrétiens).
C'est le
besoin, le ras le bol, le trop plein d'injustices et d'aliénations
qui va amener de courageux penseurs (Rousseau ...) à concevoir et
à prôner l'idée de laïcité pour empêcher l'injustice et
l'aliénation en installant la justice de manière durable et la
liberté: des lois qui ne font acception de personne, qui sont en
ce sens neutres, qui assurent l'égalité des citoyens comme égalité
des droits, et la liberté civile garantissant à tous
la possibilité de voter des lois: ainsi chaque citoyen obéit à
la loi qu'il s'est prescrite.
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Pour se convaincre de la nécessité de la laïcité, il
suffit de la soustraire: immédiatement, la
justice (=égalité) et la liberté disparaissent.
C'est que, en l'absence de la laïcité, la séparation entre le
pouvoir des religieux et le domaine profane ne peut être réalisée.
Comment voulez-vous dit Rousseau qu'on puisse vivre en paix avec
des gens que l'on considère comme des infidèles voués à
l'enfer d'une punition éternelle. Les athées, et ceux qui
appartiennent à une autre religion que celle qui influence le
pouvoir ne pourront être respectés. Il est impossible de les
aimer car, comment aimer ceux qui n'aiment pas Dieu, ceux que Dieu
condamne déjà à l'enfer éternel? Dans ces conditions la prise
de pouvoir au nom de dieu apparaît, à une minorité agissante,
comme la réalisation de la volonté divine, ce qui, à leurs yeux
excuse tout, comme si la fin justifiait les moyens!
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La laïcité, loin d'exclure telle ou telle religion, les
protègent toutes et singulièrement les religions minoritaires,
simplement, elle exclut l'intolérance, car, si
on écoute Rousseau "Partout où l'intolérance théologique
est admise, il est impossible qu'elle n'ait pas quelque
effet civil." (Contrat Social, Livre IV,
chapitre 8)
L'intolérance d'une religion peut agir (effet)
sur le civil, le domaine des lois, ce qui provoque la disparition
de la république car l'analyse de "l'effet"
prouve de manière éclatante que ce n'est plus le peuple qui est
le Souverain, que c'est une partie du peuple plus ou moins grande
qui a perdu sa liberté et qui obéit aux volontés particulières
des religieux.
La justice et la liberté disparaissent et là où il y avait des
citoyens ou un "peuple naissant" il n'y a plus que des
esclaves et des religieux, des maîtres qui les tondent.
Or, écrit Rousseau, avec son intelligence et sa raison que
personne ne devrait lui contester, "Mais
il n'appartient pas à tout homme de faire parler les dieux, ni
d'en être cru quand il s'annonce pour être leur interprète."
(Contrat Social, Livre II, chapitre 7, dernière page).
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Qui peut encore dire que Rousseau n'est pas un moderne dans
sa manière de poser les vrais problèmes : ceux qui, encore de
nos jours nous défient!
Par J. Llapasset |