(Contrat
Social Livre II, chapitre VII Du législateur)
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Les dernières pages du Livre II, chapitre VII, nous
permettent de comprendre pourquoi le recours aux forces de
la croyance est nécessaire.
Le peuple n'est d'abord qu'une idéalité, un concept: ce n'est
pas une réalité de citoyens sur laquelle le législateur
pourrait s'appuyer pour convaincre en s'adressant
à la raison. Il n'y a pas de citoyens mais des individus mus par
la générosité restreinte, qui n'apprécient dans le
gouvernement et dans ses décisions que ce qui sert leur intérêt
particulier dans l'ici et le maintenant. Or l'action du Souverain
est orientée vers l'utilité publique et ne saurait en passer les
bornes pour servir des intérêts particuliers ou des groupes
d'intérêts.
Là encore nous retrouvons le rôle pédagogique des lois
dans la progressive élévation de l'individu au sujet, de l'homme
au citoyen.
=> Voir ROUSSEAU,
Émile - Livre V (lien
ouverture ouverture nouvelle fenêtre)
Comme
l'esprit social ne peut être que l'effet des institutions, on ne
saurait s'adresser à un "peuple naissant" qui n'a pas
été encore été élevé à l'esprit social par des lois, comme
on s'adresserait à des citoyens libres qui obéissent à la lois
qu'ils se sont prescrites.
Dès lors,
comme dans l'idéal républicain l'usage de la violence est exclu,
comme on ne peut donc forcer, et puisqu'on ne peut s'adresser à
un esprit social non encore constitué, il faut chercher
ailleurs une autorité qui, à défaut de convaincre en
s'adressant à la raison, persuaderait le peuple
naissant et obtiendrait cette foi, cette énergie dont les lois,
comme êtres de raison, manquent. Cette autorité le législateur
la trouve dans l'être transcendant auquel toute religion prétend
relier: en s'adressant au coeur et non à la raison, le législateur
entraîne à l'obéissance aux lois sans violence physique ni
morale.
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Comprenons que, pour Rousseau, le législateur a fait
prononcer à Dieu le discours rationnel et élaboré qu'il a
inventé (Moïse, Les dix commandements ...).
Il s'agit
bien, par le mythe d'une intervention divine,d'opérer dans
l'esprit du peuple naissant l'association entre les lois proposées
et les lois de la nature, cet ordre du monde créé par Dieu
et cet ordre que réalise l'obéissance aux lois de l'État. La
connexion est si étroite que Rousseau, dans la Lettre à
Christophe de Beaumont, page 90, affirme "Qui désobéit
à la loi, désobéit à Dieu." C'est bien la référence
aux anciens, à cet ordre de l'univers qui nous invite à "suivre
le divin", disait les stoïciens.
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L'autorité du législateur n'est rien car le Souverain,
c'est le peuple des citoyens: alors le législateur substitue à
la pauvreté de son autorité l'autorité d'un vivant bienheureux
et immortel, d'un démiurge organisateur de l'univers, d'un modèle
pour entraîner le peuple naissant "par l'autorité
divine". Ce que certains présentent un peu vite comme
une "imposture" est pourtant l'invention géniale qui
permet au peuple d'accepter les lois, d'accéder à la liberté
civile et, grâce au rôle pédagogique des lois, de devenir des
citoyens.
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Ici, pour ce qui relève du législateur, c'est la raison
qui se sert des passions comme d'un instrument. Pourtant le peuple
naissant, renaît à chaque génération... On aura donc toujours
besoin de la croyance, de l'autorité du sacré. Comme les
religions n'ont que trop tendance à utiliser la croyance et
l'autorité divine pour assurer leur pouvoir et prendre d'assaut
le pouvoir de l'État, il faut une religion civile qui s'impose à
tous dans le domaine public. Impossible de demander cette autorité
à une religion particulière d'autant plus que dans le devenir de
l'histoire, il y a une juxtaposition de plus en plus importante
d'une diversité de religion au coeur d'un état républicain:
aucune religion ne peut donc se présenter comme LA religion
civile.
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IL faut concevoir cette religion civile comme un code nécessaire,
une sorte de catéchisme qui s'imposera à tous d'autant plus
facilement qu'il ne s'occupe pas du domaine privé.
Par J. Llapasset |