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Rousseau est bien le type de l'être raisonnable
sensiblement affecté qui ne renonce ni aux sentiments ni à la
raison: loin de lui l'idée que la raison humaine puisse faire
disparaître les religions. La raison ne peut que permettre
d'admirer leur inspiration et de limiter leurs excès. Il faut en
prendre son parti, il faut "faire avec" les religions:
la croyance se retrouve jusqu'au coeur des démarches de la
raison. Il ne faut donc pas compter sur la raison pour déraciner
la croyance. Tout au plus pourra-t-on limiter les religions, les
critiquer en distinguant ce qui doit être gardé pour l'humanité
et ce qui doit être refusé.
Voilà
pourquoi Rousseau n'aime l'athéisme qui lui semble inconséquent.
Il s'agit de permettre la coexistence des religions et d'éviter
leur guerre:
pour que les religions gardent le meilleur d'elle même sans
tomber dans l'excès, il faut leur imposer une sorte de loi qui
soit au-dessus d'elles pour qu'elles gardent cette mesure qu'elles
perdent trop souvent dans une falsification progressive opérée
par l'histoire. Comment a-t-on pu en venir de l'amour du prochain
à l'esprit des guerres de religion?
Il ne
s'agit donc pas de faire disparaître les religions mais d'empêcher
qu'elles se mettent au-dessus des lois, de les juger et de les
rectifier, ce qui suppose un critère qui s'appliquerait à toutes
pour dire ce qui est admissible et ce qui ne l'est pas.
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Ce que l'histoire a fait, elle permet de le défaire ou de
le rectifier.
A quelles conditions une religion sera-t-elle acceptable et ne
menacera pas la liberté civile dans une république fondée sur
un Contrat Social dans lequel chacun renonce à sa liberté
naturelle et reçoit en échange une liberté civile, par des lois
qui s'appliquent à tous. Aucune religion ne peut s'identifier à
la loi sans transformer les citoyens en esclaves.
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Dans le Deuxième discours sur L'origine de l'inégalité,
Rousseau avait construit un modèle, l'état de nature, qui, par
comparaison, permettait de juger de l'état actuel d'une société.
C'est une démarche scientifique. Ici encore il veut construire un
modèle qui permettra par comparaison, de juger si une religion
donnée est compatible avec une république, avec l'égalité pour
tous et la liberté par tous. Ce modèle, il l'appelle la religion
civile. L'expression, au premier abord étonne: comment
accorder religion et "civile"?
Est- civil, en effet, ce qui est relatif à l'ensemble des
citoyens, ce qui est garantit pour tous selon la loi cet être de
raison. La loi agit surtout par sa forme.
Nous commençons
peut-être à voir, l'intérêt, le défi, l'enjeu de cette
expression: comment concilier le point de l'homme,
de la croyance, le point de vue particulier et le point de vue
universel que signifie le terme "civile", le point de
vue du citoyen?
Comme l'homme de nature, la religion civile doit se
trouver dans le coeur et la raison de l'homme. Pourquoi? Parce que
sans le coeur, la raison n'est rien. Il faut donc concevoir et
construire le modèle comme exprimant une sorte de minimum qui
concilie le sacré et le profane, le privé et le public.
Concilier ne signifie pas chez Rousseau réduire le privé au
public. Rousseau est pour la liberté de vivre une
religion personnelle, mais justement cette religion doit restée
privée et ne pas pénétrer dans l'enceinte des lois pour les
briser et...les remplacer.. Il s'agit de distinguer pour
unir, chacun restant à sa place dans son domaine.
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D'ailleurs, au creux de chaque religion, les deux points de
vue du particulier et de l'universel , du clos et de l'ouvert,
coexistent, ce qui permet d'espérer que chaque religion pourra
s'accorder avec la République en respectant les autres religions
et en n'usurpant pas la suprématie des lois. La République, pour
ne pas dire la patrie, ne peut en recevoir que des avantages: des
citoyens animés par la foi et par la raison: l'obéissance à la
loi qui, par exemple, interdirait l'intolérance.
Gardons bien ceci en mémoire: Rousseau veut établir au dessus de
toutes les religions, un code de bonne conduite, auquel les
religions devraient se conformer pour être admises dans une République:mais
un tel code ne serait rien sans la foi. Il se résume à ne pas
menacer la République. Il s'agit de juger ,de la compatibilité
des religions ou de leur incompatibilité avec le bien apporté
par l'État Civil: la liberté assurée par la double universalité
de la loi.
Mais notre
auteur veut aussi renforcer la force des lois: la raison ne suffit
pas. Les lois, réduites à elles mêmes manquent de force. Il
faut pour cela étendre la générosité restreinte et
utiliser la croyance, pour que chacun, en cherchant sa
satisfaction défende aussi l'enceinte sacrée des lois.
Par J. Llapasset |