=
Parce qu'il implique au moins la distinction du profane et du sacré,
le concept de laïcité a pour ambition
d'ouvrir un champ pour l'exercice de la
liberté en excluant "l'effet" d'un pouvoir exercé
sur le profane, par un quelconque clergé. Ce sont les
institutions de l'Église qui doivent rester à leur place, pour
ainsi dire.
Cette distinction ne peut être garantie que si elle est commandée,
au nom du peuple français, par une loi imprescriptible, inscrite
dans la constitution (quand Rousseau parle de loi civile, il désigne
la constitution élaborée par un législateur et approuvée par
tous les citoyens). Par exemple, dans la loi de 1882, il s'agit
principalement d'exclure les religieux d'une fonction enseignante
dans l'enseignement public, à l'école primaire. Il est facile
d'identifier les religieux par leur tenue vestimentaire, que ce
soit des Frères enseignants ou des Soeurs.
Cette loi
procède de la volonté affichée de réserver la Science à l'école
et le catéchisme à l'Église. Si
la loi est pour tous, toute particularité (enseignement privé
confessionnel) est exclue... théoriquement.
L'école publique devient laïque dans la mesure où elle se
rationalise: neutralité.
Une personne = une personne,
un + un = deux, ni plus ni moins.
=
En excluant le pouvoir clérical, on veut exclure de
l'enseignement public officiel tous les principes et toutes les
considérations propres à telle ou telle religion, dans le
cas de 1882, il ne s'agit en fait que de la religion chrétienne.
On veut renvoyer l'enseignement religieux à la vie privée, au
choix de chacun, et c'est pour cela que les enseignants du publics
ne sont pas tenus à la neutralité dans leur vie privée.
=
L'ambition de la laïcité est bien de rendre impossible toute
influence du religieux sur le politique, et l'éducation
tient radicalement à la politique; mais encore et surtout, de
donner à la nation une spiritualité qui lui soit propre et
qu'elle ne doive à personne d'autre qu'à la raison. On fera donc
des cours de morale, on parlera de "saint laïque", pour
montrer que, un citoyen peut suivre la morale aussi bien sinon
mieux qu'un chrétien. Bien entendu, la laïcité fait appel à
l'ardeur des citoyens et donc à la foi. La déesse Raison ne doit
cependant pas faire oublier un fait peu contestable, c'est que
tous les citoyens sont pétris, ne serait-ce que par la langue et
l'étude des auteurs, de la tradition judéo-chrétienne. L'accès
aux grands auteurs et aux grands textes exige donc une culture:
va-t-on se priver de comprendre et de lire le très grand
philosophe qu'est Jean de la Croix au siècle d'Or espagnol?
=
On remarquera que la laïcité exige la neutralité en ce
qui concerne le domaine religieux, mais aussi, on l'oublie trop
souvent, en ce qui concerne le domaine politique et même le
domaine philosophique.
De plus, il sera très difficile de distinguer le domaine
de la raison et le domaine de la croyance personnelle,
puisque ces deux aspects sont au coeur d'un homme, d'un être
raisonnable sensiblement affecté.
Où est le législateur et où sont les citoyens que Rousseau
appelle de ses voeux? A-t-il jamais rencontré un chrétien, autre
que le Christ des évangiles qui l'a ému. Enfin, comment
nier que l'accès de nombreux États à la laïcité, l'égalité
et la liberté, et même la distinction du profane et du sacré
n'ont pas pour origine les paroles du Christ des Évangiles: rendez
à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.
= Les
difficultés de la laïcité ne viennent-elles pas de ce qu'une
diversité de religions s'est mélangée ou juxtaposée au terreau
judéo-chrétien, et que leurs traditions et leur culture ne les
préparent pas à comprendre le concept, en particulier sur la
distinction du domaine sacré des lois et de la vie privée.
Comment comprendre la laïcité si on pense que Dieu veut
une constitution religieuse, comment préserver l'égalité et la
liberté si on laisse les religieux garder la loi et participer
activement à son élaboration, la faire.
La laïcité a donc un tendon d'Achille: il faut essayer de
comprendre cela.
Par J. Llapasset |