De
la laïcité et de son talon d'Achille
=
Il devrait être possible de déduire la difficulté propre
à la laïcité de son concept, de ce que cela est: c'est
l'indépendance de l'État et des fonctions publiques par rapport
à l'exercice des religions: elle implique que l'État ne
saurait exercer un pouvoir religieux et que les communautés
religieuse n'ont pas le droit d'exercer un pouvoir politique.
C'est bien la Loi qui garantit la laïcité: d'une part les lois
qui ne sauraient être des lois sans être pour tous et par tous,
d'autre part la Loi fondamentale où constitution qui s'impose à
tous une fois qu'elle a été soumise au vote de tous et que une
majorité l'a choisie.
= La
laïcité suppose que la liberté soit reconnue comme la valeur
suprême ayant pour condition l'absence de contrainte du religieux
sur le politique: sans la liberté, on ne peut vivre une
vie pleinement humaine, "la liberté ou la mort!". Une
telle idée est bien la fille de l'encyclopédie et de la Révolution
française, mais aussi du Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau
qui nous avertit que la liberté suit le sort des lois et qu'il
n'y a pas de lois sans liberté.
=
La grandeur de la laïcité est incontestable, c'est
cependant ce qui permet de comprendre ses difficultés.
Parce qu'elle a la grandeur d'un idéal et d'une foi purifiée de
toutes les religions de la foule, la laïcité ne peut que subir
l'assaut de tous les fanatismes plus avides de pouvoir que d'autre
chose. Le plus souvent les ardeurs sont extra républicaines et
portent la marque, plus ou moins déguisée par le discours, de la
générosité restreinte qui veut conquérir le pouvoir en mettant
Dieu de son côté. Comment Dieu ne pourrait-il ne pas être par
sa perfection, le Dieu juste de toutes les créatures. Peut-on
transformer Dieu en chef de guerre?
Parce
qu'elle met la liberté au-dessus de tout, l'obéissance à la loi
qu'on s'est prescrite, parce qu'elle parle au nom du peuple français,
le souverain, la laïcité est poussée par sa caractéristique
essentielle à la neutralité (justice) et à la tolérance
(liberté). Le foisonnement des croyances, le
regroupements des croyances, le prosélytisme conquérant,
produisent des puissances réelles nées de l'amalgame des
croyances individuelles: par le jeu de l'élection, de
telles puissances peuvent se voir confier la garde des lois et de
la constitution auxquelles elles ne croient pas et qu'elles
prennent simplement pour un marchepied vers le
pouvoir que l'on emprunte et que l'on oublie.
Qu'est-ce qui empêcherait une secte, une église, parvenue à la
victoire électorale , de changer la constitution , de lui enlever
son article premier et de prendre pour référence, à la place,
la parole de son dieu qu'elle mettrait au-dessus des lois comme
valeur suprême, en lieu et place de la liberté?
=
Le peuple de citoyens est d'abord un concept, ce qui
signifie qu'il doit être réalisé. On voit mal comment il
pourrait être réalisé autrement que par l'éducation de
citoyens. Le XVIII è siècle avait bien vu le danger et l'urgence
de protéger la laïcité en éduquant des citoyens. De
l'expression "écrasons l'infâme" qui accompagnait la
signature de Voltaire, à celle de Diderot, "hâtons-nous de
populariser la philosophie", il s'agit bien d'un combat
commun: d'une part faire reculer l'église et la chasser d'un
domaine où elle ne commandait que trop, d'autre part, avec
Diderot, d'exercer l'esprit et avec cet exercice, de permettre
l'exercice du doute qui accompagne toujours les mises en question,
salvatrices de la liberté, opérées par l'esprit.
= Le
tendon d'Achille de la laïcité, ce qui fait sa grandeur et sa
fragilité, c'est cette liberté même qu'elle garantit. La liberté
civile qui laisse à chacun le pouvoir de fixer ses propres fins
indépendamment de telle ou telle doctrine. Ceux qui, parce qu'ils
sont incapables de choisir leur fin, souffrent, pâtissent de ne
pas avoir un sens pour leur vie , se tournent vers des tuteurs qui
les utiliseront, en faisant parler Dieu, et les plumeront de leur
liberté. Ils auront l'illusion que leur passion est une action.
Par J. Llapasset |