° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE par Jean Jacques SARFATI 

 jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr

Pour une définition de la Justice comme « intrinséquéité »

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Pour une définition de la Justice comme « intrinséquéité »  (suite)

 Conclusion.

Les grecs appelaient loi, le "nomos", ce terme à permis en Français l'élaboration du terme de "norme", mais a également permis de créer le mot "nomade".  La justice n'est pas la loi et la loi n'est pas le droit mais le droit est ce qui permet de faire vivre le juste en utilisant (notamment) la loi. Il y a donc un lien certain entre le juste et la loi. Mais comment dès lors expliquer que le "nomos" ait donné et la norme ( qui renvoie à la règle et à la rigidité de celle-ci) et le nomade  suppose "fluctuant", "voyageur" ? La définition de la justice comme intrinséquéité nous permet de donner une réponse à la question ainsi posée et de résoudre ainsi le question du pourquoi du lien entre des concepts apparemment si opposés.

Cette définition fait en effet de la justice ce qui fonde l'idée même de limite. En tant que telle elle est "une", donc rigide( par son unité même qui exclut toute interprétation ignorante de cette unité) et ce faisant elle exclut donc toute vision relativiste de l'idée même de justice. Cette unité explique ainsi que le nomos ait pu donner la "règle" qui par sa rigidité même implique unité.

Mais tout en étant "une", la définition de la justice comme intrinséquéité fonde, le concept de "limite intrinsèque" qui par lui-même ne doit pas nécessairement s'entendre au sens "métaphysique" du terme mais peut s'entendre sous trois sens. La limite en effet peut être plurielle, variable. Elle peut s'entendre au sens individuel, social ou "naturel".  La limite peut donc "varier" selon les circonstances, les personnes ou les croyances et pour cette raison tout en étant une, la justice n'est nullement étrangère à la "nomadité, ce qui peut expliquer que le nomos ait pu donner le nomade en grec et le pourquoi de lien oublié entre le nomos et le"nomade" que Kant a selon nous eu tort de mépriser .

De cette dualité, norme/nomade qui tire son existence même du terme "nomos" que la définition de la justice comme intrinséquéité éclaire ainsi, nous savons ainsi qu'être juste ce n'est pas imposer dogmatiquement une vision politique ou dogmatique du monde à autrui. Etre "juste" c'est précisément admettre qu'il existe des limites aux choses et aux êtres , que la justice même ne peut ignorer sauf, comme le rappelait Rousseau en parlant du droit,à se transformer en force ce qu'elle ne doit jamais être puisqu'elle n'est qu'idée (idéelle et non hypostasiable) et que la force elle est matière factuelle (une réalité indiscutable malheureusement et parfois tout à fait hypostasiable).

En conséquence être juste c'est admettre les trois conceptions possibles de l'idée de "limite" et tenir pour acquis que nul ne peut aujourd'hui prétendre honnêtement (sauf à contraindre ou convertir l'autre par force à ses convictions) que l'une ou l'autre de ces conceptions puisse être nécessairement vraie.  Nous pouvons considérer pour nous même que - par exemple- l'idée de "nature" ou de limite "naturelle" aux choses est indépassable, voire au contraire que cette idée est un leurre mais si nous voulons être juste avec l'autre nous ne pouvons  imposer à l'autre  nos convictions ou fonder notre droit sur cette conviction et ce faisant lui imposer nos idées en confondant ainsi philosophie politique et philosophie du droit.

La justice qui trouve son origine dans ce qui fonde l'idée de "limite" impose ainsi tolérance ( l'idée de tolérance n'est autre que le respect de l'autre en tant que différent de nous, ayant des limites distinctes des nôtres)  et charité ( celle de charité en revanche implique le rappel de nos propres limites face à nos jugements qui sont eux-mêmes limités ainsi que le rappel des jugements de l'autre et des influences qu'il subit nécessairement )  à l'égard des pensées divergentes des nôtres.

La prudence "épistémologique" elle-même nous incite à ne pas nécessairement faire valoir l'une aux dépens de l'autre.  Des combats inutiles, des querelles vaines par elles-mêmes nous ont aujourd'hui montré que le "croyant" tout autant que le "non-croyant", le darwinien ou le créationniste pouvait avoir de bonnes raisons de croire à ce qu'il croyait. Ce qui importe ce n'est pas pour la justice de donner raison "dogmatiquement" à l'un ou à l'autre mais de permettre une vie paisible entre les uns et les autres simplement parce que nul ne peut avec certitude "forcer" l'autre à croire ce qu'il ne croit pas. Tout ceci n'est qu'affaire de croyance personnelle et la justice se doit de les respecter comme toutes les religions, quelles qu'elles soient imposent respect et bienveillance pour l'exilé et l'étranger.

Outre l'avantage de résoudre la fausse opposition nomade/norme, la définition de la justice ainsi proposée,  évite les inconvénients du positivisme car elle ne fonde pas le droit à partir du droit ( comme le font les positivistes actuels qui entendent ou prétendent fonder le droit interne  à partir du droit international sans nous dire sur quoi fonder le droit international lui-même . Ils oublient ainsi que le droit en tant que tel est un outil et l’outil - que pour Kelsen même il n'était que "second" - et que ce droit  n’est rien si le pourquoi de son usage n’est pas réfléchi ou entendu, compris à partir d'autre chose que lui-même).  Mais dans le même temps, cette définition ne voue pas le positivisme aux "gémonies",  car elle admet les avantages de cette doctrine qui permet de limiter toute vision dogmatique du droit. En effet, tout comme elle, elle ne confond pas philosophie politique et philosophie du droit mais toutefois, tient pour "naïf"(14) toute idée de séparation radicale entre l'une et l'autre branche de la philosophie.

Comme nous l'avons indiqué, cette théorie se propose en effet  de tenir compte du plus grand nombre possible de visions du « juste », aussi bien le jus naturalisme, le droit religieux, le droit laïc( et parmi les partisans du droit laïc, les nationalistes, les internationalistes, les socialistes, les libéraux). Elle les intègre sans les dissoudre.  Elle rappelle donc que le droit en lui-même n'est qu'un outil, au service du juste. Il doit permettre aux juges désignés de remplir leur office et à la loi d’être appliquée. Toutefois elle rappelle qu'il y a parfois des "folies" du juste que le juste lui-même n'ignore pas puisqu'en tant qu'intrinséquéité il est lui-même soumis à cette exigence de justice. Il y a aussi une justice de la justice.

La définition proposée ne risque-t-elle pas de faire la part trop belle au jugement ou à l'évaluation  ? Elle considère que l'évaluation reste effectivement un des outils essentiels de la mise en oeuvre de la justice et que le droit lui-même se distingue de la loi en ce qu'il intègre cette idée même de jugement.

Elle rappelle ainsi qu'un  nouveau travail doit donc être opéré sur l’évaluation ou le jugement de l’intrinsèque. Celui-ci suppose des propositions pour limiter les effets néfastes de l'arbitraire. Un élément indépassable découle cependant de la théorie proposée : celui qui en voulant juger et appliquer la loi ignore la limite de celle-ci et les limites de ce qu'il juge et de son jugement même, celui-ci aussi est injuste et il ne peut donc nous faire croire en la légitimité de sa décision ; ce faisant certes il sera juge mais ce sera un juge injuste.

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Copyright Jean Jacques SARFATI jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr professeur de philosophie en région parisienne, juriste et ancien avocat à la cour d'Appel de Paris

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