° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE par Jean Jacques SARFATI 

 jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr

Pour une définition de la Justice comme « intrinséquéité »

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Pour une définition de la Justice comme « intrinséquéité »  (suite)

b) Plus spécifiquement, l’interprétation limitée qui est aujourd’hui majoritairement faîte du positivisme juridique et du rôle des juristes a au moins quatre effets négatifs tant sur eux que sur le droit lui-même.

En premier lieu, celle-ci enferme plus encore le monde du droit dans sa spécialité. Si le savoir du spécialiste est nécessaire devons-nous pour autant priver celui-ci de réflexions sur le général ? Dans l’incertitude des méthodes qui conduisent au vrai une certaine prudence épistémologique ne serait-elle pas plus préférable ici comme ailleurs ?

En second lieu, la coupure ainsi instaurée entre le droit et le juste prive ainsi le juriste du privilège qu’offre la réflexion conjointe sur le droit et sur la justice ; privilège d’une réflexion sur la nature du bonheur, réflexion qui ne pourrait être jugée inutile par n’importe lequel des utilitaristes. Comment être heureux en effet si l’on ne parvient pas à savoir ce qui nous convient et ce qui convient à nos proches or le juste ne permet-il pas de déterminer ce qui convient ? Aider les juristes à y réfléchir n’autoriserait-il pas ces derniers à mieux utiliser certaines de leurs réflexions afin de mieux réfléchir aux conditions de leur bonheur personnel ? Aristote, encore lui, avait été l’un des premiers à envisager ce lien entre justice et bonheur. Le positivisme radical a pour effet de le rompre tout net. (6)

En troisième lieu, la seule réflexion sur le contenant au détriment du contenu, le défaut de réflexion sur le pourquoi du droit en général, du pourquoi de certains droits en particuliers a pour effet , certes de masquer des désaccords qu’il est jugé malséant d’étaler en public, mais en même temps de vider le droit d’une partie de son efficacité. Les juristes en effet ne cessent à présent d’évoquer un émiettement du droit ou un déclin de la loi(7). Mais le désaccord sur ce que nous faisons ne peut que conduire à un tel émiettement ou à tout le moins au refus de celui-ci , voire à l’incompréhension d’une existence de cette diversité. Comment en effet se mettre d’accord sur quelques lignes générales si personne ne parvient à s’entendre sur ce que doit être l’outil que l’on entend mettre en place, sur ses fonctionnalités, sa nature, son utilité, etc…?

Enfin, en dernier lieu, ce rétrécissement du champ du droit et de la réflexion juridique, cette limitation au « droit » et cette exclusion du « juste » du monde juridique est dommageable car il a pour effet d’accentuer le développement d’un droit purement procédural, le déplacement des débats judiciaires du débat d’idées au débat sur de pures formes. Un tel déplacement ne peut qu’être défavorable pour le maintient du tissus social pour celui qui croit que le dialogue assure une certaine cohésion à la société. L’homme est un être de langage et d’échanges et le langage, Aristote encore lui le soulignait en son temps, l’outil premier du politique (7a). Si le droit ne permet plus de tels échanges c’est lui-même et la société toute entière qui le porte qui finit par s’appauvrir. En effet, les micro-discussions juridiques finissent un jour par alimenter des macro-débats. Lorsque les relais sont bien organisés, ces micro-débats permettent d’éviter les heurts que ne manquent jamais de produire les silences contraints.

c) A la décharge du positivisme juridique, une brève étude de l’histoire de la philosophie du droit révèle cependant que cette tentation de réduire le rôle des juristes à celui de simples exécutants n’est pas nouvelle. On en trouve des traces dans la doctrine dite de l’exégèse mais plus encore chez Robespierre qui voulait que les juges soient des « bouches par qui la loi parlerait » et également dans le Platon des lois.

Mais l’école de l’exégèse a fleuri aux temps de Napoléon Ier et elle a très vite déclinée lorsque la troisième république s’est installée (8). Nul , exception faite de quelques thuriféraires minoritaires, ne souhaite le retour de l’incorruptible  de 1793. Le cantonnement du juriste au rôle de pur exécutant est donc plutôt reliée à une vision autoritaire du politique.

Platon, dont certains ont à juste titre interprété le rôle qu’il a pu jouer auprès de quelques cas pathologiques qui n’ont pas su saisir toute la subtilité de sa pensée, avait lui-même prévu dans les lois que si le législateur devait être distingué du « juriste » simple exécutant, il n’en demeurait pas moins qu’aucun législateur digne de ce nom ne pouvait l’être selon lui s’il n’avait connu le droit dans son application quotidienne. Il fallait être juriste pour être législateur, selon Platon. Lorsqu’elle fut pensée par les grecs et les hébreux, puis laïcisée par les lumière, l’idée de loi puis celle de loi ne pouvait se penser indépendamment de celle de justice. Il suffit pour cela de relire les écrits mosaïques, et les textes fondateurs de Platon et d’Aristote sur le sujet.

La loi doit être au service de la justice. Sinon comment expliquer la fameuse formule cicéronienne devenue partie intégrante du droit français sous la théorie de l’abus de droit ? « L’abus de droit est injure faîte au droit » nous rappelait l’avocat-philosophe ( Summun jus, Summun injuria). Tel est le grand mérite des doctrines contemporaines des théories de la justice.

Vers la page suivante - B) Avantages et inconvénients des théories contemporaines de la justice.  

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Copyright Jean Jacques SARFATI jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr professeur de philosophie en région parisienne, juriste et ancien avocat à la cour d'Appel de Paris

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