° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE 

Rubrique animée par Jean Jacques SARFATI  

Une définition de la justice comme limitéité

 

 

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II) La justice comme limitéité  

 

Les querelles d’idées sont toujours favorables mais elles finissent par être pénalisantes lorsqu’elles interdisent le débat plus qu’elles ne le favorisent. Or le dialogue ne peut s’instaurer lorsque chacun se refuse à entendre les arguments de l’autre. Telle paraît bien la situation actuelle - en  France à tout le moins - dans le domaine de la justice et M. Villey l’avait déjà noté en son temps.

 

Ce dernier chercha en effet à « donner et aux juristes et aux philosophes la part » de torts réciproques qui était la leur dans le divorce constaté entre leurs deux formes de savoir. Aussi s’il écrivit que «définir les notions essentielles du droit, la fin du droit, les sources principales, la méthode…C’est une œuvre utile aux juristes sans laquelle ne peut fonctionner correctement la science du droit mais qui déborde la compétence des juristes proprement dit qui est du ressort des philosophes » (28a) ou encore s’il rajouta que «  le remède à l’état lamentable de la théorie générale du droit contemporaine, malgré l’expérience malheureuse des trois derniers siècles, nous l’attendons des philosophes " (28b), il ne put s’interdire d’écrire cependant :  «  Si notre théorie juridique nous paraît aujourd’hui fondée sur des principes incertains et inadéquats, s’il existe une crise du langage juridique actuel, ce fut l’effet d’une philosophie déficiente »(28c) ni s’empêcher de reprocher aux philosophes d’ignorer tout du droit.

 

Les mots furent un peu forts, ceci est certain. La philosophie est plus complexe que cela et moins déficiente que  Mr Villey l’écrivait. Les philosophes qui travaillent sur ces sujets n‘ignorent pas le droit. De plus, il existe de remarquables théories sur le droit pensées par les juristes et qui sont de nature à aider les philosophes dans leurs analyses. Mais retenons de ce propos ce qu’il a de plus essentiel : pour poursuivre d’une autre manière, le débat sur la justice,  ce qu'entend nous rappeler M. Villey et qu'il faut renouer les fils cassés du dialogue rompu entre les juristes et les philosophes. Or pour suivre ici, M Villey, et  tenter de recréer des liens, peut-être serait-il judicieux de repartir des avantages cumulés des théories qu’ils soutiennent. Pour ce faire, dégageons  les points de convergence des deux doctrines qui « séduisent » aujourd’hui le plus les philosophes ( le post-rawlsisme) et les juristes ( le positivisme) : quels sont-ils ?

 

A) Points de convergence entre positivisme et post-rawlsisme

 

Malgré leurs oppositions ces doctrines peuvent être rapprochées sur deux points :

 
1) leur « rousseauisme » mais un rousseauisme au sens du Rousseau du  Chapitre III  Livre I du contrat social (29). Pour ces deux doctrines, un point est en effet certain : la justice ou le droit ne peuvent s’assimiler à la force. Pour les rawlsiens ou post-rawlsiens ( même pour un auteur comme Nozick lorsqu’il évoque sa clause lockéenne)(30).

Une réserve sur ce point peut être opérée pour les positivistes. Pour eux en effet, un droit du plus fort reste un droit dès lors qu’il présente les caractéristiques formelles du droit.Mais, les positivistes seront alors d’accord avec Rousseau. La force ne se manifestera pas ici de manière « brute » ou « directe », elle s’exprimera sous les apparences d’une règle « générale et abstraite » en apparence impartiale. (30a)

Si nous poussons la logique de ce lien jusqu’au bout alors il est  donc indéniable qu’aucune définition de la justice ne sera possible si une personne se sent » « forcée »  ; si elle se sent contrainte dans son acceptation de ce qui est juste ou non pour elle.

 

2) Le second point commun de ces deux catégories de doctrines est moins discutable. Le deux admettent qu’il existe un lien indéniable entre le droit, la justice et l’idée de limite.

En effet pour le rawlsien ou le post-rawlsien, la limite, ce qui n’est pas acceptable sera ce qu’il juge injuste. Les variations dépendront ici de la définition qu’ils entendent donner à l’idée de ce qu’est la justice. En revanche pour les positivistes, la limite à ne pas dépasser sera celle de la loi. Les uns tiennent l’illégitime pour la limite alors que les autres se retranchent derrière l’illégal mais tous deux tiennent l‘idée de limite pour essentielle.

 

Partant de ces deux points communs, il est peut-être possible de proposer une définition de la justice qui d’une part ne force pas les individus et d’autre part prenne en compte l’idée de limite. La question de la force paraît essentielle ici pour cette détermination d'un terme redoutable par lui-même.

La recherche soit de l'unanimité  soit du plus grand accord ( celui-ci pouvant peut-être s'opérer par la recherche du plus petit commun dénominateur à défaut) est requise en ce domaine plus qu’en n’importe quel autre selon nous. En effet, au nom de la justice : nous condamnons,  nous jugeons, nous culpabilisons, nous  emprisonnons, nous tuons ou déclarons la guerre à nos voisins. Si la justice n’est pas la force, il y a une force dans l’idée de justice et cette force ne doit pas être cumulée avec une autre qui viendrait en quelque sorte se superposer à elle. Cette "force" redoutable de la justice impose donc prudence extrême pour celui qui cherche à la définir.  De ce fait, ici plus qu’ailleurs les recherches d'harmonie restent nécessaires. Or il nous apparaît que la définition de la limitéité peut permettre de parvenir, si ce n'est à l'unanimité  à tout le moins à l'accord du plus grand nombre et ce même sur le plus petit point mais ce point nous suffit s'il est trouvé et s'il permet de trancher en toute impartialité dans les cas difficiles. Il est essentiel, s'il est réel plus que fantasmé.

 

B) Définition de la limitéité

 

Il y a une idée de limite dans la justice, mais la justice ne peut être en soi la limite. L’idée de justice renvoie à une fondation qui justifie d’une part, pourquoi d‘aucuns sont autorisés à juger et d‘autres à légiférer et d’autre part, pourquoi ces lois et ces jugements ont force obligatoire. La justice est donc le fondement de quelque chose.

Dans l’idée de droit ou de justice, chacun s’accorde pour considérer qu’il existe toujours une limite.  En conséquence, si la justice est fondement elle ne peut être autre que ce « point focal » à partir duquel se justifie l’idée de limite. Or ce fondement n’a d’autre nom que limitéité.

La limitéité est un point  obscur ( ou destiné à le demeurer ?) à partir duquel se justifie  l’existence de limites pour les êtres, les concepts, les choses.

En la définissant de la sorte, il est difficile de la tenir pour un leurre car si le mot même de leurre existe c’est qu’il a une signification et s’il a une signification c’est qu’il est déterminable, limitable. Ceux même qui évoquent les leurres ne peuvent donc nier l’existence des limites or il faut bien quelque chose qui puisse caractériser et fonder ce qu’est la limite et pourquoi l’on parle d‘un tel terme. Ce quelque chose est la justice ou limitéité.

Partant de cette définition de la justice, comment dès lors savoir si une liberté est injuste ou s’il est fait un usage injuste de la liberté ?

Pour le savoir il faut envisager deux niveaux

a) une vision « irritée
 » ou stricte de l’injustice nous poussera à considérer qu’il y a un usage injuste de la liberté lorsque celle-ci est utilisée au-delà des limites de ce concept ; lorsque l’on corrompt le terme et qu’il lui est fait perdre toute signification ( par exemple ici on utilise la liberté en niant même l’idée de ce terme pour autrui par exemple) ;

 

b) une vision plus « tolérante » considérera qu’il y a usage injuste de la liberté si non seulement les limites du concept sont dépassées mais surtout si ce dépassement est telle que l’on fait perdre tout sens au mot, qu’il deviendra impossible par la suite de pouvoir fixer des limites à ce terme ou pour évaluer les éventuels dépassements de limites le concernant( par exemple si la corruption du terme est telle que si elle était acceptée il ne serait plus jamais possible de parler de liberté).

 

De même autre exemple, si l’on adopte la définition proposée : comment savoir si nous nous sommes comportés de manière injuste envers une personne ? Dans ce cas, il faut également choisir entre les deux options possibles a) si nous optons pour la vision « irritée », il faut se demande si les « contours » de cette personne, ce qu’elle est ont été ignorés ( par exemple, a-t-on nier sa singularité, ses désirs les plus légitimes?) , b) si nous choisissons  la version plus « tolérante », il faut simplement se demander si ce qui a été imposé à la « victime » est de nature à rendre impossible toute détermination de ses limites propres  ou évaluer tout dépassement de limite à son égard ( par exemple cette négation rend elle impossible par la suite toute évaluation de sa personnalité dans le futur ?)

 

Cette définition proposée quelles sont les conséquences de celle-ci dans sa relation avec des concepts qui s’en rapproche ?

Vers la page suivante: C) Conséquences de la définition proposée

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