° Rubrique Droit et Justice DROIT et JUSTICE Rubrique animée par Jean Jacques SARFATI Une définition de la justice comme limitéité
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En effet des critiques, selon nous décisives, peuvent être formulées
à l’encontre de cette doctrine. a)
Le premier inconvénient de cette théorie est que,
pour clarifier le concept de droit, il lui a fallut appauvrir celui-ci
(11). Droit et loi ne peuvent être confondus. Il y a une idée de
« médiance » dans le droit, en tant que droit positif
même. Le positivisme s’égare donc indubitablement lorsqu’il prétend
vouloir réduire la loi au droit (12) et ce même lorsqu'il s'agit de
droit "réel" ou "positif". Un positivisme éclairé
qui pousse son analyse sur le sujet admet d'ailleurs - tel Bobbio
notamment - que lorsque deux lois se contredisent, c'est la solution la
plus juste que doit rechercher le juge pour surmonter cette
contradiction. Il admet donc que le droit ne peut pas être tout
à fait coupé du juste et que le jugement reste essentiel pour la mise
en oeuvre de celui-ci or juger n'est ce pas aussi chercher le juste ?
Mais comment chercher cette "justice" si, au préalable, des
recherches ne sont pas entreprises pour tenter de la déterminer préalablement
? (12a)
De
plus, outre l’erreur épistémologique à laquelle la démarche
positiviste conduit, la réduction opérée par ce dernier entre droit
et loi est d’autant plus dommageable qu’elle risque de transformer
le juriste en exécutant. Elle risque de confiner ce professionnel dans
un simple savoir d‘expérience, ayant possibilité à terme de l‘écarter
peu à peu de ce statut « d‘homme de l‘art » tel
que le concevait Aristote qui pensait que «ceux qui se conduisent par
les règles de l’art sont plus éclairés et plus sages que ceux qui
ne suivent que l’expérience seule » car selon lui, celle-ci :
«nous apprend simplement que la chose est mais elle ne nous dit pas le
pourquoi des choses » (13).
Le positivisme pose donc problème. Il risque par trop, d'éloigner le juriste du « pourquoi » du droit. L. Strauss avait indéniablement raison sur ce point.(13a). En agissant de la sorte, une telle doctrine peut avoir pour effet de le rendre dans l'incapacité de faire son "métier" sereinement lorsqu'il lui devient pour lui nécessaire d'interpréter" les textes contradictoires ou inadaptés qui sont moins rares qu'on le prétend. Pour certains juristes, il aurait même des effets plus périlleux encore. Faisant état d'un certain désarroi, un professeur de droit réputé, écrivait sans détour à son sujet récemment :
« à force de décrire le juge comme un serviteur servile de dispositions légales directement applicables aux circonstance de fait et qu’il se contenterait de suivre à a la lettre, l’idéologie contemporaine ( le positivisme) a engendré des juges qui peuvent se réfugier derrière la lettre de la loi pour renoncer à toute analogie, à toute interprétation voire à toute recherche de justice. Encore n’adoptent-ils cette attitude que de façon intermittente lorsque les circonstances ne les conduisent pas à se libérer purement et simplement de la loi(sic !)… S’il faut appeler positivisme la tendance à voir dans le droit des réponses et non des questions…Il n’a pas seulement envahi le discours des juges et celui des praticiens, auxiliaire de justice…Il a investi l’enseignement de la théorie juridique » (13b)
b) Outre les inconvénients, sus indiqués, le deuxième inconvénient du positivisme est , comme le notaient A. Renaut et L. Sosoe, sa naïveté (14). Il est naïf en effet de vouloir prétendre couper la philosophie du droit de la philosophie politique. Les conceptions politiques sont toujours sous-jacentes et les taire ne les fait pas disparaître. Cette « taisance » est au mieux une volonté d’éviter l’affrontement qui peut être signe de faiblesse. De plus en contraignant les juristes à oublier la justice, elle leur nterdit une recherche sur un thème pourtant fécond pour les aider « au soin d’eux-mêmes ». De même, cette coupure ainsi créée entre philosophie du droit et philosophie politique risque d'être pénalisante épistémologiquement parlant car le détour par le politique peut tout autant nous aider à comprendre le droit. Enfin, une telle neutralité est illusoire car le noyau dur de cette philosophie du droit n’est, en effet, pas une « ignorance du fait politique » mais une conviction étatiste doublée d’une indéniable NoMophilie qui sont-elles-mêmes des projets politiques, voire un rejet du décisionnisme qui est sous-jacent mais réel (14a).
c)
En troisième lieu, le dernier inconvénient de ces doctrines
est qu’elles affaiblissent le jugement qui vient à occuper une place
secondaire par rapport à l‘interprétation. Or il est périlleux de
vouloir affaiblir une telle qualité car le bon jugement est l’Accessoire
de la vertu ( au sens grec d’Arété, ou d’excellence aristotélicienne)(15).
Il est également l’auxiliaire incontournable de ce que les modernes
appelaient le « libre-arbitre »(16), lui-même si nécessaire
au bonheur de la cité et de l’individu( 17) car il est difficile de
fonder une cité heureuse si ses membres ont perdu le sens du juste or
ce sens se gagne aussi par un exercice régulier, comme le stagirite
nous l'a justement enseigné.
En
conséquence, malgré des atouts et le fait, qu'outre ceux indiqués, le
positivisme fut en son temps l'adversaire utile d'une doctrine
plus périlleuse encore, le décisionisme d'un auteur comme C.
Schmitt, notre doctrine positiviste présente d’indiscutables inconvénients
et il appelle donc un dépassement nécessaire. Nous
pouvons toutefois ici, profiter de notre analyse afin de nous interroger
sur la raison de la pénétration et du « règne » quasi
sans partage du positivisme dans les milieux juridiques d’Europe
continentale contemporains . Sans prétendre ici épuiser un tel sujet, nous pouvons hasarder ici que les motifs de cette domination sont doubles, selon nous :
- ils sont historiques. Les idées étatistes et « Nomophiles », elles-mêmes fondatrices du positivisme, ont toujours exercé un attrait dans nos pays. (18). Les peuples du bloc « Romano-germanique » ignorent la distinction anglo-saxonne: common law et équity.(19). Dans ces pays, la Loi a toujours eu une influence conséquente et le positivisme n’a fait que traduire ce courant historiquement majoritaire. De plus, comme le notait fort justement S. Goyard Fabre, le positivisme possède indéniablement un aspect « techniciste » qui lui confère une proximité avec notre «air du temps », fort soucieux -du moins en apparence - de technicité . Cet aspect « formel » peut expliquer son succès (20). Mais des motifs plus institutionnels pourraient également expliquer l’emprise contemporaine du positivisme chez les juristes. Par sa « simplicité », l’efficacité dont il a su faire preuve, il s’adapte fort bien à une société fortement hiérarchisée et éprise du souci du « résultat ». Ce goût du « résultat » et de la « bonne gestion » sont jugés indispensables et/ou nécessaires dans un système qui s’est massifié à ses deux extrémités : en aval, dans les universités de droit et en amont dans les Palais de justice.(21).
Pourtant malgré ces succès et ses avantage, le positivisme a peu pénétré la sphère des philosophes. Ceux-ci paraissent « bouder » une telle philosophie pour l’essentiel. Ce qui fait plutôt débat aujourd’hui en philosophie politique et juridique s’articule autour des doctrines dites post-rawlsiennes ou post-welfaristes. Il importe, comme les thèses positivistes, de les présenter sous l‘angle de leurs avantages et inconvénients.
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