° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE 

Rubrique animée par Jean Jacques SARFATI  

Une définition de la justice comme limitéité

 

 

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Résumé et introduction

 

 

 

Notre thèse est la suivante :

la tâche du philosophe politique et du droit est de réfléchir sur les fondements du droit, de la loi ou de la politique. Il y a deux fondements possibles au droit : le fondement idéal et le fondement réel. Notre propos n'est pas , dans cet article, d'interroger le fondement "réel" du droit mais de nous pencher sur l'idéal, seul susceptible de nous aider à réfléchir sur la finalité de celui-ci. Finalité "en panne" aujourd'hui et qu'il importe de redécouvrir notamment pour nous aider dans les cas litigieux, difficiles ,de silence ou de contradiction de la loi.

 

Notre projet ici est de soutenir que  la fondation idéale du droit ne peut être autre que la justice et notre idée est de définir celle-ci comme limitéité. La limitéité s’entend comme ce à partir de quoi se légitime l’idée de limite.

Nous nous proposons de définir plus en détail ce terme. Mais auparavant il nous faut expliquer les raisons qui nous ont conduit à choisir ce concept pour définir l‘idée de justice.

 

Ces raisons s’expliquent par le fait qu'il n'est pas d'autres définition acceptable de ce terme. Mais également, par la volonté de trouver une définition qui puisse réunir les deux conceptions majoritaires aujourd’hui en philosophie du droit et de la justice d’Europe continentale. Ces deux conceptions sont le positivisme et les théories rawlsiennes et post-rawlsiennes. Les unes séduisent aujourd'hui les juristes, les autres intéressent les philosophes. Une telle "attirance" ne doit pas nous laisser indifférents et il importe de ne pas la mépriser. Toute réflexion sur le droit aujourd'hui ne peut en effet s'opérer sans un lien à recréer entre les juristes et les philosophes car chacune de leurs approches peut permettre d'avoir un éclairage plus assuré sur l'idée de justice que nous cherchons à comprendre. Or si chacun de ces professionnels croit à une doctrine c'est qu'elle est porteuse de valeurs conséquentes pour nous aider à découvrir la nature de l'objet qui nous intéresse.   

Aussi pour expliquer notre démarche, allons-nous, dans un premier temps, étudier ces théories (positivisme et post-rawlsisme) sous l’angle de leur permanence, mais aussi de leurs atouts et de leurs manques. En effet, la définition de la justice que nous proposons se construit à partir de ces atouts et de ces manques.

Nous l’exposerons en un second temps. Puis en dernier lieu, nous placerons la théorie proposée sous le « feu » de la lecture croisée avantages/inconvénients, comme nous l’avons fait, pour les deux théories opposées et dominantes. Nous verrons notamment que la doctrine de la justice comme limitéité n’exclut pas l’idée de justice distributive, d’équité ou d’égalité, de liberté ou de solidarité. Elle considère seulement que les idées en question sont soit des conséquences de la définition proposée, soit des concepts proches de l’idée de justice mais distincts de celle-ci.

 

En conclusion, nous insisterons sur le fait que la justice, étant ce qui permet de juger la limite de tout, elle doit se juger elle-même et elle est limitée.  En conséquence, nul ne doit vouloir être juste à l’excès car un tel excès détruit l’idée même de justice.

 

Puisque, l’un de nos projets est de partir des apports cumulés des deux doctrines aujourd’hui dominantes en philosophie juridique contemporaine, nous allons envisager ces deux grandes philosophies du droit sous l’angle de leurs avantages et inconvénients. Puis ensuite nous verrons en quoi, malgré cette contemporanéité, ces doctrines s’inscrivent dans un débat qui présente des  récurrences au cœur desquelles se situe précisément l'idée de justice que nous nous proposons de défendre.

 

 

I) Permanence, avantages et inconvénients des deux courants dominants.

 

A) Avantages et inconvénients des théories positivistes

 

 

De nombreux philosophes contemporains mais aussi quelques juristes critiquent le positivisme juridique(1). Ces critiques sont fondées. Notre propos n’est donc pas ici de défendre les thèses positivistes. Cependant, celles-ci présentent quelques avantages qui ne doivent pas être oubliés au risque de faire le "lit" d'adversaires plus redoutables que  les partisans de cette doctrine tout à fait respectable. Ce sont les  avantages du positivisme qu’il nous faut exposer avant que d’étudier les inconvénients de cette théorie. Mais auparavant, il importe de dire quelques mots, sans souci d’exhaustivité, le concernant.

Le positivisme s’est véritablement affirmé comme doctrine dominante chez les juristes d'Europe continentale au XXème siècle. Différents auteurs le représente et les plus fameux sont  Hans Kelsen ou Carré de Malberg(2). Des positivistes français plus modérés soutiennent  également cette doctrine  H. Motulsky et aujourd'hui M. Troper (3) mais également des italiens comme N. Bobbio notamment.

Malgré leurs spécificités, ces doctrines présentent un point commun : elles placent la loi au centre du droit (4). Pour le positiviste juridique, l’essentiel du  droit est  la loi. Ces auteurs se dénomment ainsi positivistes car ce qui les intéresse c’est le « droit positif », c’est-à-dire comme l’écrivaient les juristes français J. Ghestin et G. Goubeaux : « (le) droit appliqué effectivement à un moment donné dans un pays donné » (5). Ils ont des points communs avec les positivistes de l’école de Vienne(6), notamment  dans leur désir de proposer une approche scientifique du droit et leur rejet de toute métaphysique. Mais il est juste de ne pas tout à fait confondre les deux philosophies car elles ne poursuivent pas les mêmes fins.(7)

Les positivistes se caractérisent par le fait, entre autres, que les spéculations sur ce qui est juste ou ne l’est pas, ne les intéressent pas (en tout état de cause lorsqu'il s'agit de s'interroger sur l'être du droit, son "ontologie") . Comme le rappelle Kelsen, pour le positiviste : «  une norme juridique n’est pas valable parce qu’elle a un certain contenu » mais «  parce qu’elle est créée d’une certaine façon et plus précisément en dernière analyse, d’une façon qui est déterminée par une norme fondamentale, norme supposée» (7a). C’est donc la forme, non le fond, qui distingue le droit des autres concepts approchant pour le positiviste.

 

 

1) Les avantages de ces théories sont liées à ce formalisme positiviste. En effet : 

 

a) Ces doctrines sont « positives » en ce sens qu’elles étudient le droit, non pas tel qu’il devrait être mais tel qu’il est effectivement. Le positivisme croit à la connaissance « utile » et en ce sens, il est « cartésien » (8). Ce goût pour la connaissance utile est particulièrement affirmé chez les juristes qui recherchent avant tout l’efficacité et reprochent aux philosophes de ne pas leur offrir des pensées « opérationnelles », immédiatement utilisables pour leur pratique quotidienne.(9). De plus, il peut dans de nombreuses situations nous guérir d 'un idéalisme salutaire le concernant et cette crainte de l'idéalisme est sans nul doute essentielle pour le positiviste et nul ne doit le blâmer à cet effet.
 

b)  Malgré cela, le second -et le plus essentiel - des avantages de la philosophie positiviste reste cependant son souci appréciable de neutralité axiologique.

Le positivisme juridique s’est construit contre les philosophies du droit qui confondaient, selon lui,  philosophie et idéologie, droit et politique. Il avait à son origine pour projet de lutter contre les visions trop marquées du droit . Kelsen écrivait d’ailleurs en préface de sa grande oeuvre, dans l‘Allemagne de mai 1934,  que le droit « pur » s’entendait selon lui comme : « épuré de toute idéologie politique ». (10).

Une doctrine qui recherche ainsi , et qui prétend trouver, le moyen de rendre le droit plus neutre ne peut être méprisée. Surtout, lorsque l’on tient compte du fait que, pour la majeure partie d’entre nous, les concepts de justice et d’impartialité entretiennent des liens étroits .

Le reproche le plus grave que l’on puisse d’ailleurs faire à une justice serait sa partialité axiologique. Nul ne peut donc faire grief à Kelsen de son souci de neutralité surtout pour qui connaît les circonstances politiques dans lesquelles il fut amené à réfléchir au droit et les adversaires peu reluisants qui furent les siens. L’ambition de neutralité kelsenienne donne une valeur inestimable aux travaux de ce dernier. Cependant, cette thèse ne nous convainc qu'à moitié et nous souscrirons aux différentes critiques qui sont adressées au positivisme.

 

 

Vers la page suivante: 2) En effet des critiques...

 

° Rubrique Droit et Justice   jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr

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