° Rubrique philo-fac

- PHILO RECHERCHE - FAC

Emmanuel Lévinas (1906- 1995)

  •  Corporéité et affectivité dans les écrits d’Emmanuel Lévinas par Paulette Kayser  (p.4)

  • Page 1: Introduction - Ce corps jamais mien.
    Page 2: Naissance permanente
    Page 3: Temps sensible
    Page 4: Dire de "l’autre corps"
    Notes de lectures
    (line ouverture nouvelle fenêtre)
    ==============

Site Philagora, tous droits réservé

________________________________

Dire de " l’autre corps "Il est impossible de soulever la question du corps sans aborder la différence sexuelle : on a souvent réduit Levinas à un penseur de l’éthique, tandis qu’on a généralement beaucoup moins insisté sur la place prépondérante de la différence sexuelle dans ses écrits (26). La différence sexuelle est pourtant essentielle dans l’œuvre de Levinas et représente un vecteur fondamental du cheminement de sa pensée. Résumons brièvement l’itinéraire.

Dans Le Temps et l’autre, Levinas définit la différence sexuelle comme " structure formelle [...], qui découpe la réalité dans un autre sens et conditionne la possibilité même de la réalité comme multiple, contre l’unité de l’être proclamée par Parménide " (27). La différence sexuelle n’y est pas une différence spécifique quelconque, ni une dualité de deux termes complémentaires, ni une contradiction, mais une dualité insurmontable. C’est dans la relation érotique que " le moi (vir) " qui tente de s’identifier à soi subit une altération décisive, car, selon l’expression de Levinas, il perd sa " virilité ", c’est-à-dire son pouvoir. En quête du tout autre, Levinas donne un nom à la différence irrécupérable qu’il cherche : le féminin. Celui-ci est pensé comme ce qui ne se représente pas, ce qui échappe au discours philosophique qui a généralement essayé de le réduire à son autre donc au même. Jusqu’à Totalité et infini le féminin est l’autre par excellence.

À partir d’Autrement qu’être ou au-delà de l’essence le féminin ne sera plus mentionné dans ses écrits philosophiques alors qu’il est rediscuté dans les commentaires talmudiques. Mais l’altérité sexuelle continue à inquiéter ses écrits philosophiques ultérieurs. Dans Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, la subjectivité se décline au féminin comme vulnérabilité, sensibilité, hémorragie pour l’autre. Il s’agit d’une subjectivité en rupture d’essence, maternité se caractérisant par le gémissement des entrailles. Dans ce livre, l’altérité rencontrée par le Même comme différence pure devient constitutive de la subjectivité.

" J’accède à l’altérité d’Autrui, écrit Levinas, à partir de la société que j’entretiens avec lui et non pas en quittant cette relation pour réfléchir sur ses termes. La sexualité fournit l’exemple de cette relation, accomplie avant d’être réfléchie ; l’autre sexe est une altérité portée par un être comme essence et non pas comme l’envers de son identité, mais elle ne saurait frapper un moi insexué. Autrui comme maître – peut nous servir aussi d’exemple d’une altérité qui n’est pas seulement par rapport à moi, qui appartenant à l’essence de l’Autre n’est cependant visible qu’à partir d’un moi " (28).

Les implications de ce passage sont cruciales, car dans la mesure où Levinas assume que le " moi est sexué " il réfute la thèse du seul " corps sexué " comme objet appropriable et à la fois " le sexe " scientifique, lequel dans sa froideur calculatrice le détache de toute sensibilité. Ce " moi sexué " est pourtant " l’homme ". Levinas reconnaît décrire la différence sexuelle du point de vue de l’homme, admettant par là qu’il y en a un autre, des autres. Chose rare en philosophie, laquelle, soit refoule cette question comme s’il n’y avait qu’un sexe, soit au mieux prétend un sujet " neutre ", derrière lequel se cache à peine l’homme et dont on peut déduire sans exagérer (si toutefois ce n’est pas l’exagération qui conduit au mouvement) que l’histoire de la philosophie est une histoire d’homme, réduisant " femme ", " enfant ", " animal " à " son " autre pour atteindre cette souveraineté qui pourrait lui faire oublier qu’il est vulnérable, sensible, exposé, sans certitude et variable. Ces " qualités " sont réduites à des attributs et appartiennent traditionnellement au champ des soi-disant attributs féminins que le moi héroïque refoule pour les imposer ou les accorder à son autre qui est aussi " la femme " dont le concept n’est pas moins douteux. Car dans cette tradition elle est, soit artifice, soit démon, jamais là où on la cherche, introduisant fiction et scission " elle est le récit de la brisure en l’homme " (29). Ce récit cache le fait que l’être humain – qu’il soit homme ou femme – " n’est pas tout ", ni entité , ni éternel.

Si Levinas a le mérite de rendre à la subjectivité de l’autrement qu’être les qualités que l’histoire de la philosophie efface ou omet de dire, il n’est cependant pas libre de cette tradition à laquelle il est impossible d’échapper par un pur acte volontariste. Ses descriptions de la femme et de l’érotique s’avèrent ambivalentes (30).

En signant cependant sa réflexion au masculin sans s’identifier à un sujet universel, en reconnaissant la " défaillance du sujet ", Levinas ouvre de nouvelles voies : la question de la différence sexuelle, et avec elle celle du corps irréductible au corps phénoménologique, peuvent être abordées sur un autre terrain, ne retournant plus à l’identité et la vision de " l’homme ", la seule que cette tradition (re-)connaisse.

Paulette Kayser - Docteur en Philosophie - Université Paris VIII

Page 1: Introduction - Ce corps jamais mien.
Page 2: Naissance permanente
Page 3: Temps sensible
Page 4: Dire de "l’autre corps"
Notes de lectures
(line ouverture nouvelle fenêtre)

° Rubrique philo-fac http://www.philagora.net/philo-fac/

2010 ©Philagora tous droits réservés Publicité Recherche d'emploi
Contact Francophonie Revue Pôle Internationnal
Pourquoi ce site? A la découverte des langues régionales J'aime l'art
Hébergement matériel: Serveur Express