° Rubrique philo-fac

- PHILO RECHERCHE - FAC

Emmanuel Lévinas (1906- 1995)

  •  Corporéité et affectivité dans les écrits d’Emmanuel Lévinas par Paulette Kayser  (p.2)

  • Page 1: Introduction - Ce corps jamais mien.
    Page 2: Naissance permanente
    Page 3: Temps sensible
    Page 4: Dire de "l’autre corps"
    Notes de lectures
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Naissance permanente

"Le sensible, écrit Lévinas, – maternité, vulnérabilité, appréhension – noue le nœud de l’incarnation dans une intrigue plus large que l’aperception de soi ; intrigue où je suis noué aux autres avant d’être noué à mon corps " (12).

La subjectivité est en naissance permanente. Dans une certaine mesure c’est toujours l’autre qui me fait naître, fait naître mon corps, qu’il s’agisse de la toute première naissance (biologique) – que nous devons tous à cette femme qui est notre mère – ou des naissances ultérieures, dans le sens du " devenir " à travers des caresses, des amours, mais aussi des coups et des blessures se succédant tout au long d’une vie, ce processus de naissance permanente ne s’arrêtant qu’avec la mort.

On pensera dans ce contexte à l’éloge que Lévinas fait de la caresse traversant toute l’œuvre comme un fil conducteur, caresse qui ne vise "ni une personne, ni une chose", mais le tendre. Comme " marche à l’invisible " elle est à distinguer de tout projet et idée et ne renvoie qu’au " pas-encore ". Dans Totalité et infini, Lévinas écrit : " Dans la caresse, rapport encore, par un côté, sensible, le corps déjà se dénude de sa forme même, pour s’offrir comme nudité érotique. Dans le charnel de la tendresse, le corps quitte le statut de l’étant " (13). Dans ce rapport du tendre il n’y a plus d’objet et plus de sujet : le charnel n’est ni le corps-objet du physiologiste, ni le corps-sujet du pouvoir.

Dans Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, la caresse n’est pas limitée au " rapport érotique " (lequel – on pourrait d’ailleurs se demander pourquoi – ne fait pas partie de l’éthique, bien qu’il semble l’ouvrir), mais élargie à tout le domaine relationnel : " La caresse sommeille dans tout contact et le contact dans toute expérience sensible [...] : le thématisé disparaît dans la caresse où la thématisation se fait proximité " (14).

La caresse " sommeille " dans la vue, dans l’ouïe et dans la parole donnée, car on peut voir, entendre et même " dire ", comme on touche. Ici, intervient un certain lien entre la corporéité et le langage. Mais qu’entend Lévinas par langage ? Précisons qu’il ne tranche pas explicitement entre langue, discours et parole, mais – tel que nous l’avons mentionné – entre le " dit " et le " dire ", aucun " dire " n’étant le dernier, puisque le " dédire " l’accompagnant aussitôt ajourne à jamais toute formulation définitive. On peut avancer que Lévinas ne sépare pas corporéité et langage à condition d’entendre par langage ce " dire préoriginel " ne s’épuisant pas en aphophansis, et précédant le " dit ", dire à distinguer et des systèmes linguistiques et de l’ontologie ainsi que, plus généralement, de toute signification immobilisée.

La subjectivité est message pour l’autre, " vouée sans se vouant ", ne se connaissant et ne " connaissant " sa corporéité qu’à partir de l’appel de l’autre. Cet autre, il ne faudrait cependant pas le réduire à autrui, mais l’élargir à l’altérité constitutive de la conscience.

C’est pourtant seulement comme être charnel que la subjectivité peut être sensible à cet appel : " La subjectivité du sujet, c’est la vulnérabilité, exposition à l’affection, sensibilité, passivité plus passive que toute passivité, temps irrécupérable, dia-chronie in-assemblable de la patience, exposition toujours à exposer, exposition à exprimer et, ainsi à Dire, et ainsi à Donner " (15).

Lévinas reprend et déplace la réduction husserlienne, laquelle vise à découvrir, dans la vie perceptive, les actes purs de la conscience constituant le sens des choses et exige le mode de présence à soi du " moi pur ". La réduction levinasienne engage la parole donnée, elle est " réduction du dit au dire " : interruption de l’intentionnalité, dé-position du " moi " : accusatif en guise de nominatif. Cette subjectivité n’est pas celle du sujet empirique, mais indique ce qui la précède : elle se réduit à la " signifiance baillée à autrui ", don de la parole. Ce don n’est pas séparable de la corporéité. " Le Dire approche de l’Autre en perçant le noème de l’intentionnalité, en retournant "comme une veste" la conscience, laquelle, par elle-même, serait restée pour soi jusque dans ses visées intentionnelles " (16).

Ce qui importe ici c’est le passage entre sensibilité, " dire " et conscience qui désigne toujours un mouvement en dehors de l’intentionnalité du " moi ", dépassant son pouvoir, son vouloir. C’est dans ce contexte qu’on peut comprendre que Lévinas récuse aussi bien la thèse d’un " langage qui parle ", que celle réduisant celui-ci à un outil maîtrisable servant la communication : " Le qui du Dire ne se sépare pas de l’intrigue propre du parler – et cependant il n’est pas le pour soi de l’idéalisme " (17). L’être humain est né dans un " dire " le précédant, avant d’être né à soi-même.

Jean-François Lyotard semble justement évoquer cette " situation " – certes à sa manière et donc différemment – lorsqu’il décrit le nouveau-né comme être pré-maturé dans la langue dont la première touche intervient lorsqu’elle " s’empare de lui avant qu’il ne s’en pare " (18). Oublieux comme nous sommes, nous avons l’habitude d’en parler " au passé ", comme si nous faisions simplement usage de la langue et avec elle de " notre " corps, sans tenir compte des traces que l’événement du " prématuré " laisse à jamais et qui influencent le présent et le futur, puisqu’elles ne renvoient pas seulement à " l’incomplétude du corps " mais aussi à " celle de l’esprit ". Autrement dit, l’entité et l’autosuffisance n’ont jamais existé et ne sont guère souhaitables (19) dans la mesure où elles freinent le mouvement du sujet qui n’est – si on veut encore le nommer ainsi – que dans la mesure où il est en naissance permanente.

Quoique la " langue " chez Lyotard soit à distinguer du " dire " chez Lévinas, dans la mesure où elle n’implique pas, comme chez celui-ci de " Dieu qui vient à l’idée " ou de " merveille de la création ", mais des " rudiments païens " et du " différend ", il s’agit bien dans les deux cas des limites du pouvoir et de la maîtrise de l’être humain et d’un abandon radical du sujet autonome/identique, partant du fait que quelque chose est plus grand que lui, le dépasse et demande à s’exprimer.

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