° Rubrique philo-fac

- PHILO RECHERCHE - FAC

Emmanuel Lévinas (1906- 1995)

  •  Corporéité et affectivité dans les écrits d’Emmanuel Lévinas par Paulette Kayser  (p.1)

  • Page 1: Introduction - Ce corps jamais mien.
    Page 2: Naissance permanente
    Page 3: Temps sensible
    Page 4: Dire de "l’autre corps"
    Notes de lectures
    (line ouverture nouvelle fenêtre)
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Rendant hommage à Jean Wahl, Lévinas écrit en 1976 :
"Cette œuvre singulière en alternance, où le dire se ménage un dédire et celui-ci un dédire nouveau, a largement participé au rejet de la pensée se complaisant dans les systèmes exclusifs. Elle a été le précurseur de certaines audaces (qui ne sont pas toutes des excès) de la philosophie d’aujourd’hui " (1).

On peut constater que ces mêmes lignes décrivent précisément l’œuvre de Lévinas dans la mesure où celle-ci continue à ébranler et inquiéter les demeures et les lieux habituels de la philosophie, dérangeant l’ordre de tous ceux qui croient avoir trouvé leur port. Sa pensée est " étrangère à tout mandarinat ", universitaire et extra-universitaire à la fois. Préférant l’ombre à la lumière aveuglante, Lévinas met au centre les confins de la philosophie, se préoccupant de ce qu’elle omet de " dire ", de ce qu’elle efface à travers son " dit ".

Il s’agit de dégager de ce "dit" de la représentation – qui implique le sens figé et freine le mouvement de la signification – un "dire" exprimant un domaine de la pensée qui est en excès par rapport au savoir et à la thématisation: excès de l’expression. D’ores et déjà expression excessive, la pensée de Lévinas ne craint ni les terrains glissants, ni les apories, préférant la faille et l’échec philosophiques à la réussite, au Savoir et à la synthèse (2). L’enjeu consiste à défaire la relation sujet-objet et le primat de la conscience, de l’ego et de la présence, afin de pouvoir prêter l’oreille au " dire " d’une sensibilité primaire et inépuisable, d’une corporéité qui n’est pas de l’ordre de la possession, mais témoignage d’une sensibilité sans retour à la maîtrise d’un "je pense, donc tu n’es pas".

Lévinas souligne continuellement l’importance de cette corporéité : "Seul un sujet qui mange peut être pour-l’autre ou signifier. La signification – l’un-pour-l’autre – n’a de sens qu’entre êtres de chair et de sang. La sensibilité ne peut être vulnérabilité ou exposition à l’autre ou Dire que parce qu’elle est jouissance" (3). Celle-ci est intimement liée à l’altérité dans toutes ses formes. Dans son œuvre, tant de passages témoignent de la grande portée de cette jouissance, grâce à laquelle il semble impossible de réduire la pensée de Lévinas à une pensée austère, puritaine ou à une morale normative qu’il ne faudrait pas confondre avec l’éthique, ou plutôt l’" ouverture éthique " se refusant à toute généralisation et devoir, puisqu’elle s’avère indéductible de l’ontologie (4).

L’œuvre de Lévinas est souci de la corporéité, de l’affection, de la sensibilité, contestant aussi bien le cogito cartésien que le résultat hégélien. Dans un long itinéraire allant de l’interruption du sujet-substance à sa destitution radicale, il récuse dès les premiers écrits le dualisme entre corps et âme ainsi que le primat du cogito pour approfondir, dans les derniers écrits, le lien entre corporéité et parole donnée. La subjectivité y intervient comme "exposition de l’exposition" et dans la mesure où elle se fait "signe pour autrui", elle exprime déjà la corporéité: "L’identité [...] se fait non pas par confirmation de soi, mais, signification de l’un pour l’autre, par déposition de soi, déposition qu’est l’incarnation du sujet ou la possibilité même de donner, de bailler signifiance" (5).

Comment dire le corps? La corporéité est irréductible au corps qui se montre, au corps comme phénomène ; la connaissance ne pourra jamais saisir la corporéité, puisque d’une certaine manière, c’est le corps sensible qui lance la pensée, en fait don au monde. Par conséquent, Lévinas ne thématise pas, ne décrit pas le corps, n’en fait pas un objet de la connaissance.

Dès Le Temps et l’autre il se réfère à l’hypostase non pas comme celui (ou vaudrait-il mieux dire celle ?) qui a mal, mais comme celui qui est douleur, jouissance, sommeil, appétit. Le corps y est conçu comme ce qui dépasse la maîtrise et la possession par la conscience. Sont au centre la vulnérabilité, la fragilité, les limites du pouvoir, de l’héroïsme du sujet. La question suivante, posée lors d’une conférence de 1946, guidera l’ensemble des écrits ultérieurs: "Y a-t-il dans l’homme une autre maîtrise que cette virilité, que ce pouvoir de pouvoir, de saisir le possible ?" (6).

Dès les premiers écrits le sujet est charnel et homme (je vais y revenir) et les deux "expériences" qui ébranlent sa maîtrise sont l’éros et la mort comme " événements de l’autre ". Dans Totalité et infini, Lévinas approfondit les analyses de la corporéité : " Le corps est une permanente contestation du privilège qu’on attribue à la conscience de "prêter le sens" à toute chose. Il vit en tant que cette contestation" (7). Cette contestation vise aussi bien les soi-disant autonomie et liberté du sujet que l’intentionnalité de la conscience. Car la conscience n’est pas inconditionnelle, mais trouve sa possibilité dans l’être charnel. Le corps est ce qu’on tente de maîtriser et ce qui s’avère immaîtrisable, se refusant en partie à l’appropriation et la possession. On n’aura qu’à penser aux notions transmises par la psychanalyse : corps inconscient, corps somatique, symptôme. Or, il est certain que Lévinas n’aime pas beaucoup la psychanalyse. Bien qu’utilisant souvent des notions comme, par exemple, "trace", "traumatisme", "psychose", Lévinas lui reproche de réduire l’inconscient à un "jeu de la conscience" et ne la suit pas dans ses projets de normalisation (8).

Dans Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, il décrit cependant la "maladie de l’identité", mais il ne s’agit pas de libérer la conscience du "grain de folie" qui la rend vulnérable et ouvre la possibilité de respecter l’autre. Cette maladie de l’identité s’avère inguérissable. Dans ce livre et dans les écrits ultérieurs, la subjectivité est sans identité, "hors sujet", "nomade", seulement normale dans la mesure où elle est sans norme, passivité subie dans la proximité par une altérité dans un moi qui n’est plus le moi. Aussi la complétude du sujet n’a-t-elle jamais existé, celui-ci étant traversé "dès le début" par au moins une différence : il est "l’autre-dans-le-même". La conscience est toujours déjà habitée par une altérité, la sensibilité et l’affectibilité la précédant à jamais. Tout retour au sujet (soit-il psychanalytique ou philosophique) sera désormais exclu.

La subjectivité de chair et de sang dans la matière, n’est pas, pour le sujet, un "mode de la certitude de soi" " (9). On peut en déduire que le corps n’est jamais " mien ", dans la mesure où il n’est ni mon objet, ni ma propriété, et même pas mon projet. Je ne puis parler de mon corps et parler tout court que parce que je ne suis pas seul au monde, parce que je réponds à l’autre, parce que la subjectivité est exposition.

À partir d’Autrement qu’être ou au-delà de l’essence Lévinas ne rompt pas seulement avec les catégories de l’avoir mais aussi avec celles de l’être (bien que celles-ci subissent déjà des déplacements et des dislocations dans les écrits précédents et qu’on ne puisse pas trancher entre un premier et un deuxième Lévinas), afin d’exprimer une passivité radicale qui est la condition de toute activité parce qu’elle précède l’opposition passivité/activité : " Les sensations sont produites en moi, mais moi je me saisis de ces sensations et je les conçois. Nous avons affaire à un sujet passif quand il ne se donne pas ses contenus. Certes. Mais il les accueille " (10).

Cet accueil radical précède toute identité ainsi que tout chez soi et n’est pas de l’ordre d’un choix ou d’un engagement. La philosophie de Lévinas revendique une hospitalité infinie, à distinguer de l’hospitalité purement juridique (11), dans la mesure où elle précède la propriété et la décision. Elle ne découle ni d’un vouloir, ni d’un savoir, mais d’une sensibilité primaire : affect qui précède la pensée dans la mesure où il donne à penser.

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