° Rubrique philo-fac

- PHILO RECHERCHE - FAC

La connaissance incarnée par Magali Uhl 

Page 1: Présentation
Page 2: Position du problème
Page 3: Sens vécu et sujet réflexif
Page 4: Causalité et structure
Page 5: Récapitulation et conclusion
Page 6: - Notes -

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Causalité et structure

 Le second type de tradition scientifique relève d’une démarche davantage explicative qu’interprétative. Plus que la singularité du sujet, c’est l’objectivité ou plutôt son objectivation qui est visée. Le travail scientifique devient ainsi un passage continu de la recherche des lois aux hypothèses explicatives (25). Cette seconde tradition ne se revendique pas d’un héritage philosophique jugé caduc au regard de la science, mais précisément d’une filiation scientifique qui prend son inspiration dans les sciences de la nature (biologie) de la matière (physique) et des axiomes (logique, mathématique). À la singularité subjective, l’unicité personnelle et la temporalité vécue revendiquées dans le premier type d’approche elle oppose la recherche des conditions objectives, générales, universelles et anhistoriques du sujet/objet de recherche.

 Cette tradition n’est bien entendu pas homogène. On peut schématiquement y distinguer deux approches principales: l’explication formelle et l’explication causale. La première consiste à construire un système axiomatique qui va coordonner diverses lois de telle façon qu’il soit possible de les déduire à partir d’un nombre restreint de propositions. Les modèles construits selon cette méthode ont alors une double fonction. Une fonction heuristique d’abord, dont le but est de faire advenir par inférence de nouvelles hypothèses et par conséquent d’aller chercher des faits nouveaux pour les vérifier. Ensuite une fonction explicative qui consiste à contrôler en permanence la vérification expérimentale afin d’assurer la cohésion établie par le système mis en place (26). Pour expliciter davantage, examinons brièvement une illustration de ce type de méthode explicative et les questions épistémologiques qu’elle pose. Le cas des probabilités est particulièrement probant, tant en sociologie qu’en psychologie. Chaque modèle probabiliste retient une hypothèse (dont le choix n’est pas mis en question) et se dote d’opérations propres à la construction du modèle. Ainsi aboutit-on à une multiplicité de modèles diversement construits dont la finalité est d’inférer d’un modèle idéal à un domaine de la réalité. La question qu’on peut alors soulever concerne par exemple le rapport qu’établit le mathématicien ou le logicien entre les "êtres" mathématiques (27) idéalement construits et le sujet vivant. Il en est de même de l’analyse factorielle qui prétend, à l’aide du facteur n (on peut également prendre le facteur p couplé au facteur z), expliquer aussi bien le génie artistique que les problèmes de dyslexie, de boulimie, d’orientation dans l’espace, etc. La question qui se pose alors est de savoir sur quelles bases sont construits ces différents modèles et si "la logique qui assure la construction d’une théorie de l’apprentissage [est] la logique de l’apprentissage, ou la logique du sujet [...] qui fait la théorie?" (28). En effet, il semble évident qu’un modèle en tant que simulation de la réalité ne peut prétendre au statut ontologique de réalité – on sait bien qu’une carte géographique n’est qu’une transposition modélisée (signes conventionnels, symboles, figurations, etc.) du paysage concret et qu’un promeneur ne contemple pas la nature à travers le filtre réducteur d’une carte d’état-major. De la même manière, "l’effort des statisticiens qui ont étudié les fondements de leur science, a précisément consisté à tenter d’expliciter, sinon toujours de justifier, des principes d’inférence, qui, par leur nature même, semblent comporter une part d’arbitraire irréductible" (29).

Le second type de modèle explicatif apporte une réponse à cette "part d’arbitraire" ou plutôt à cette impasse épistémologique qui consiste à projeter une "liaison logique en liaison réelle" (30), en reconnaissant que tout modèle a besoin, lui aussi, d’être mis en question. L’explication causale se distingue donc de l’explication formelle dans la mesure où elle propose une coordination, non pas des diverses lois formulées, mais des domaines de la réalité. Elle se réclame d’une causalité rationnelle qui implique une identité relative entre la pensée et la réalité, entre le concept formulé et le concret observé. C’est dans l’œuvre de Jean Piaget que l’on retrouve la formulation la plus systématique et la plus aboutie de ce type d’approche causale. Piaget réactualise le débat sur le parallélisme psycho - physiologique pour démontrer l’existence d’un isomorphisme total entre ces "deux séries de connexions" que sont la pensée et le corps. L’argument principal pour justifier cette approche structuralo - génétique est l’utilisation, par les neuro-physiologistes, des mêmes instruments abstraits que les psychologues (par exemple les probabilités). La tentation paralléliste de Piaget n’est pas une solution ontologique mais une exigence méthodologique qui s’accompagne d’une épistémologie complémentariste entre la logique et les sciences psycho - expérimentales: "Le structuralisme logique n’est pas statique mais constructiviste: or, cette construction progressive, consistant à combler sans fin des lacunes qui se trouvent sans cesse à de nouveaux étages, est singulièrement parallèle au développement psychologique de l’intelligence elle-même avec ses constructions de structures s’équilibrant les unes après les autres, mais en s’appuyant toujours sur les suivantes qui comblent leurs lacunes en les rééquilibrant sur un terrain plus large" (31). C’est dans le domaine de la psychologie de l’enfant que les analyses de Piaget sont les plus explicites. Il montre notamment que sa méthode psycho - génétique permet de comprendre le développement de l’intelligence chez l’enfant à partir d’une succession de niveaux de structurations logiques et d’un système d’inférences qui s’enchaînent dans la pensée du sujet. "En un mot, la psychologie de l’enfant nous apprend que le développement est une construction réelle, par delà l’innéisme et l’empirisme, et que c’est une construction de structures et non pas une accumulation additive d’acquisitions isolées" (32). Ces structures formelles sont dès lors censées traduire les structures mentales du sujet/ enfant en mettant à jour le caractère essentiellement normatif que revêt sa pensée. Le structuralisme génétique propose donc un passage permanent entre ce qu’il nomme le concret (le sujet/enfant qui réagit aux systèmes d’inférences proposés) et la formalisation abstraite des modèles qui n’ont pour seule vocation que de nous introduire au cœur même de la réalité humaine. Le sujet/ enfant raisonne, le penseur raisonne sur ce raisonnement, et le concret social, le réel du sujet/enfant est – paraît-il – dévoilé. En effet, "les temps sont peut-être venus, pour que le psychologue, au lieu de s’attacher par humilité ou par superbe à un concret qui n’est rien d’autre que l’anecdote, soit en mesure de penser la réalité concrète – et son réseau de causes – rationnellement" (33). Encore s’agirait-il aussi de penser le rapport entre l’observateur et l’observé (ici entre le sujet/enfant et Jean Piaget) dans la procédure technique mise en place par le psychologue (je ne fais aucune différence avec les procédures de l’enquête sociologique et la relation entre l’enquêteur et l’enquêté). Comme le souligne en outre Erwin Straus, l’acte d’observer constitue une " relation vécue de connaissance". Dès lors, l’observation est celle d’un observateur particulier, ici Piaget, qui "rapporte ce qu’il a vu de ses propres yeux, en sorte qu’il doit être affecté d’une manière ou d’une autre par l’objet qu’il observe" (34). C’est donc en se référant à cette relation vécue de connaissance que l’on peut saisir le rapport du psychisme au corporel et plus encore le rapport des deux au socius. Il est certain que c’est avec ses propres yeux, pour reprendre la formulation de Straus, que Piaget restitue ce qu’il voit ; il est également certain qu’il est impossible de voir sans yeux donc, en bonne logique causale, on peut affirmer la proposition suivante : les sensations visuelles sont dans les yeux. "Il me sembla que c’était exactement comme si l’on disait que Socrate fait par intelligence tout ce qu’il fait et qu’ensuite, essayant de dire la cause de chacune de mes actions, on soutînt d’abord que, si je suis assis en cet endroit, c’est parce que mon corps est composé d’os et de muscles, que les os sont durs et ont des joints qui les séparent, et que les muscles, qui ont la propriété de se tendre et de se détendre, enveloppent les os avec les chairs et la peau qui les renferme, que, les os oscillant dans leurs jointures, les muscles, en se relâchant et se tendant, me rendent capable de plier mes membres en ce moment et que c’est la cause pour laquelle je suis assis ici les jambes pliées. C’est encore comme si, au sujet de mon entretien avec vous, il y assignait des causes comme la voix, l’air, l’ouïe et cent autres pareilles, sans songer à donner les véritables causes, à savoir que, les Athéniens ayant décidé qu’il était mieux de me condamner, j’ai moi aussi, pour cette raison, décidé qu’il était meilleur pour moi d’être assis en cet endroit et plus juste de rester ici et de subir la peine qu’ils m’ont imposée. Car, par le chien, il y a beau temps, je crois, que ces muscles et ces os seraient à Mégare ou en Béotie, emportés par l’idée du meilleur, si je ne jugeais pas plus juste et plus beau, au lieu de m’évader et de fuir comme un esclave, de payer à l'État la peine qu’il ordonne. Mais appeler causes de pareilles choses, c’est par trop extravagant. Que l’on dise que, si je ne possédais pas des choses comme les os, les tendons et les autres que je possède, je ne serais pas capable de faire ce que j’aurais résolu, on dira la vérité; mais dire que c’est à cause de cela que je fais ce que je fais et qu’ainsi je le fais par l’intelligence, et non par le choix du meilleur, c’est faire preuve d’une extrême négligence dans ses expressions. C’est montrer qu’on est incapable de discerner qu’autre chose est la cause véritable, autre chose ce sans quoi la cause ne saurait être cause" (35). Difficile de trouver plus juste répartie aux abîmes de la causalité structurale...

Page 5: Récapitulation et conclusion

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