I.
Autour du mot: tendances, désir et passion
-
Parce qu'elle
est application d'une décision réfléchie, construite, la volonté
se distingue des tendances qui sont des poussées vers, des
mouvements à l'état naissant, en quelque sorte des données
"dynamique", à la fois psychologiques et
physiologiques. Alors que la volonté s'exerce contre le donné,
contre l'obstacle, l'impulsion première, la tendance est
mouvement vers et donc à la suite de...
-
Le désir, manque éprouvé,
naît ou se révèle dans le choc entre le donné et la liberté
d'une existence qui ne se reconnaît pas dans le milieu extérieur:
comme la tendance, le désir est tension vers un but futur. Mais,
le désir s'accompagne de conscience de soi, parce qu'il est le
mouvement même de la conscience vers une chose et par là ne se
distingue pas de cet acte de transcendance de la conscience
intentionnelle. Alors que l'orientation du mouvement de la
tendance est indéterminé, l'orientation du désir est fixé sur
un objet: au contraire la volonté s'oriente aussi vers la maîtrise
et la réalisation des moyens nécessaires à l'obtention de
l'objet. Alors que le désir dans son immédiateté néglige les
obstacles, les médiations à envisager pour l'obtention de
l'objet, la volonté intervient quand des obstacles doivent être
surmontés et des médiations ou des stratégies envisagées.
-
La passion, comme
structure fixée de la conscience sur un objet, exclut tout ce qui
déplait: au contraire la volonté prend toujours en considération
ce qui ne plait pas pour avoir ce qui procurera une satisfaction:
en ce sens la volonté c'est souvent le pouvoir de faire ce que
l'on aime pas alors que la passion c'est subir, ne faire que ce
que l'on aime et n'aimer que le soi projeté dans un objet et
confondu avec lui. Voila pourquoi la passion est aliénation à
l'objet tandis que la volonté est réalisation de la liberté qui
s'extériorise dans l'œuvre comme rapport entre l'acte et le moi
qui, accomplissant l'œuvre, entre ainsi dans l'élément de la
permanence.
II.
La notion, le parcours
-
Parce qu'on
ne peut réduire la volonté aux tendances ou au désir, il faut
bien la déterminer en elle-même, dans ce qu'elle est. Mais en
tant que mouvement elle s'accomplit plus qu'elle ne se définit:
la pensée classique a pourtant essayé de la décomposer au
risque de l'immobiliser, de lui enlever sa vie propre, de parler
d'autre chose qu'elle:
-
La fin à réaliser
serait d'abord "conçue" c'est à dire construite ce qui
revient à faire passer au second plan le désir qui pourtant pose
la fin immédiatement: le désir est l'existence, cette
"sortie hors de" qui s'éprouve soi-même, la vie. En
excluant dès le départ la vie, la pensée classique pourrait
bien n'avoir élaboré qu'un schéma technique rationnel et mort.
- La
délibération pèserait la valeur des motifs, raisons d'agir
d'ordre intellectuel et des mobiles, forces qui poussent à
l'action: cela suppose bien sûr que les mobiles apparaissent à
la conscience en toute clarté, ce qui exclut l'inconscient et le
sentiment comme présence à soi. Selon la conception classique,
en effet, tout peut en droit être mis au foyer de la conscience,
examiné dans l'horizon de l'intentionnalité, vu en quelque
sorte.
-
La décision
engagerait le sujet par une sorte d'acquiescement, de
consentement: ce n'est pas que l'action puisse découler nécessairement
de la délibération c'est que le sujet par sa volonté donne à
la décision la certitude qu'elle n'a pas. (Voir le
jugement ouverture
nouvelle fenêtre)
-
L'exécution est la réalisation
de la décision. Elle arrive en dernier alors qu'elle est une
caractéristique essentielle de la volonté au point d'en être le
critère qui permet de distinguer, rétrospectivement, la volonté
du simple souhait.
Ce schéma a le mérite de la clarté mais il exclut l'existence
et l'inconscient comme ce qui n'apparaît pas.
-
Dans la réalité de
l'existence le choix est immédiat, premier: il relève du désir
c'est à dire du mouvement de la conscience vers un objet qu'elle
détermine comme ce qui lui conviendra. La volonté est donc la
reprise d'un désir par la conscience réfléchie qui s'approprie
ou ne s'approprie pas le projet, qui se reconnaît ou ne se
reconnaît pas en lui.
La volonté est donc fondée sur la liberté et n'en est que
l'auxiliaire, dans cette perspective qui conçoit et comprend
l'existence comme conscience, désir, et la liberté comme cette
possibilité intrinsèque de l'existence de sortir hors de, d'échapper
à l'essence dans laquelle elle s'incarne: la liberté ne peut
donc être qu'absolue et donnée dans ce mouvement qui n'a pour
essence que son existence et qui se détermine lui-même.
-
Paradoxalement la
liberté est une passion de l'existence parce qu'il est impossible
de s'en séparer sans plonger dans l'inconscience de la vie végétative:
comprenons que l'existence n'est que mouvement qui ouvre le temps
subjectif, le temps de sa réalisation, et que la disparition de
cette liberté serait la disparition de la conscience. L'existence
est ce mouvement de la conscience, mouvement de libération, de
mise à distance qui en distinguant un sujet et un objet permet
l'attention.
-
Mais que serait
l'attention sans ce pouvoir de la volonté de garder au foyer de
la conscience une chose, de la scruter non pour la former mais
qu'elle nous informe. Ce pouvoir grandit par l'exercice comme si
l'acte volontaire réagissait sur celui qui veut (Bergson): il témoigne
que l'existence comme conscience de quelque chose peut par
l'attention volontaire résister aux impulsions de la nature, ce
qui est une manière de leur échapper.
Que
la volonté puisse s'exercer marque bien qu'elle est le
surgissement de l'existence spécifiquement humaine dans sa
capacité à maîtriser les impulsions et à s'orienter par un
choix réfléchi, vers la reconnaissance de l'humanité comme ce
qui importe vraiment, comme fin de l'action. La manifestation de
la volonté est parfaite dans l'obéissance à la loi qu'on s'est
prescrite qui témoigne d'un pouvoir de se déterminer en fonction
d'une loi, être de raison, et par là, en échappant aux déterminismes
biophysiques, de faire exister l'autre comme ce qui importe à
l'existence comme le terme de l'acte de transcendance. Parce
qu'elle est exigence, prise en considération de l'autre comme ce
qui importe, la conscience dans son existence s'ouvre à ce qui
n'est pas elle, aux différences comme aux obstacles, à ce qui
plait comme à ce qui déplait et par là manifeste sa liberté
dans l'exercice de l'attention qui est exercice du vouloir dans le
consentement à l'être.
-
On comprend que la
volonté est à la fois la conscience qui consent à elle-même et
ce qu'il faut conquérir dans une reprise: cette reprise n'est
autre que l'existence proprement humaine qui accède à la vie
morale: si toute la nature obéit à des lois il n'y a que l'homme
qui est capable d'agir d'après la représentation des lois, non
pas de lois extérieures qu'il subirait (passion) mais de
lois qu'il s'impose à lui-même en sorte qu'il est à la fois législateur
et sujet. Si l'obligation exige la volonté c'est qu'elle
rencontre des obstacles comme la sensibilité, l'intérêt ou la
prudence.
La volonté est donc ce qui caractérise la personne et qui la
fonde comme sujet moral libre et sujet de droits.
Quelques citations:
"Ce
qui est volontaire semble être ce dont le principe se trouve dans
l'agent qui connaît toutes les circonstances particulières de
l'action" (Éthique de
Nicomaque III, 1 &20 Aristote)
"La
volonté consiste seulement en ce que, pour affirmer ou nier, pour
suivre ou fuir les choses que l'entendement nous propose, nous
agissons de telle sorte que nous ne sentons point qu'aucune force
extérieure nous y contraigne" Descartes
(Méditations métaphysiques IV, 7)
"libre
et volontaire signifient la même chose" Leibniz
"Une éducation qui n'exerce pas les volontés est une éducation
qui déprave les âmes" Anatole France (Le crime de S.
Bonnard, page 214)
"La
volonté n'est pas une fonction à côté de l'imagination de la mémoire
ou du jugement. Elle est un plan de vie auquel nous sommes élevés
par ces fonctions" Pradines
(Traité de Psychologie I. page 258).
"Ce
qu'on appelle volonté, c'est la capacité de faire exécuter des actes
de raison à une nature que l'orientation héréditaire des
espèces ne pousse qu'à des actes affectifs" Pradines
(ibidem)
Pistes de lecture:
Kant:
Fondements de la métaphysique de mœurs
Alain: Propos 1, Pléiade, page 323 - 324 (les obstacles à la
volonté)
Aimé Forest: Du consentement à l'être pages 149 à la fin
Paul Ricoeur: Philosophie de la volonté
-
Voir dans philo-poche: La
personne (lien ouverture nouvelle fenêtre)
Citations -
La volonté
A - Le volontaire | B - Vouloir
C - La volonté
D - La Bonne Volonté | E - Le vouloir vivre | F - La volonté
de puissance
Voir
l'aide à la dissertation: La
volonté n'est-elle que la force d'un désir?
|