I.
Autour du mot: personnalité, personnage.
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Comme résultat
d'une synthèse personnelle, d'une mise en ordre et d'une mise en
valeur de ce qui compose un individu (tendances, caractère,
histoire...), la personnalité est singulière, propre à chacun:
le produit de racines et de ruptures au sens de structuration hiérarchique
par laquelle on devient auteur d'une mise en ordre qui transforme
ce que nous avons reçu en un bien propre.
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Au contraire
la personne est universelle, c'est le même sujet moral et sujet
de droits que l'on retrouve en chacun.
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Nous jouons
souvent un personnage devant les autres, ou plutôt une série de
rôles en fonction de l'image que nous voulons leur imposer ou de
celle qu'ils veulent nous imposer. Le personnage est caractérisé
par la multiplicité des perspectives, la lâcheté comme refus
d'authenticité et la sensibilité au regard des autres, alors que
la personne est fidélité à la loi qu'elle s'est prescrite, obéissance
à la représentation de la loi, parole conforme à un texte
choisi et voulu selon la raison.
II.
La notion: le parcours. 
La
genèse de l'idée de personne, son émergence progressive, permet
seule de comprendre la personne dans une idée qui serait sa forme
intellectuelle.
Persona
désigne en
latin le masque de la tragédie: le masque pour faire oublier le
visage et la singularité d'une sensibilité particulière, pour
ainsi dire à fleur de peau: le masque présente le sentiment figé,
grimace de la passion comme souffrance de ne pouvoir changer ce
qui est écrit dans le Livre, le texte des Parques que l'action
humaine ne peut atteindre et qui déroule mécaniquement comme nécessité
(ananké) le fil d'une vie peut être vouée comme celle
d'Oedipe au meurtre et à l'inceste. Le masque est figé par le
destin dans lequel les spectateurs se retrouvent au-delà des réactions
épidermiques qui n'intéressent personne, dans le tragique d'une
condition humaine: c'est déjà l'humanité qui gémit au récit
de ses passions: "Insensé qui crois que je ne suis pas
toi" (Victor Hugo).
A
travers ce masque pourtant une parole passe qui module des
intonations et signifie une pensée comme compréhension d'un
enchaînement d'événements qui ne font qu'obéir à un texte
divin comme l'acteur obéit au texte de Sophocle:
mais l'acteur reprend le texte dans un choix volontaire, assume
librement son rôle, l'épouse pour ainsi dire, devant une foule
admirative qu'il entraîne par son verbe dans un consentement de
tous au texte qu'il profère.
Pour
l'acteur comme pour les spectateurs c'est l'ébauche d'une libération
qui transforme le destin en simple jeu de théâtre, en le faisant
reculer au propre et au figuré.
Comme
le déterminisme est descendu du ciel, la personne descend des
planches du théâtre dans des joutes oratoires pour l'approbation
d'une foule. La reconnaissance d'un rôle social important, comme
de faire parler les dieux ou plus tard dans la chevalerie de
parcourir le monde, ou pour les magistrats de dire le droit et
ainsi mettre la force au service du texte.
Le
rôle devenu social prend une dimension publique de service à
rendre, de devoir avec comme contrepartie des droits (redevances,
respect). Paradoxalement Les inégalités se creusent au point que
le droit se réfugie en un seul monarque et qu'il ne reste au plus
grand nombre que des devoirs, une étiquette méticuleuse, une aliénation
rigoureuse, comme s'il n'y avait plus personne autour du monarque
absolu qui finit par s'identifier au texte ou à Dieu! La loi
c'est moi.
La
noblesse qui incarnait la liberté au point de la manifester
devant le danger qui menaçait les paysans, par le risque de la
vie, ayant perdu l'autonomie que lui assurait la distance, perd
avec la liberté la notion de devoir et, malgré des exceptions
notables, les droits afférents.
C'est
au texte écrit que l'on s'attaque en coupant la tête d'un roi de
droit divin. Et beaucoup de retenir leur souffle devant ce crime
de lèse majesté accompli au nom du peuple et de la liberté.
Les paroles prophétiques de Rousseau, le souverain c'est le
peuple, se mettent alors à retentir non comme une utopie mais
comme une possibilité qui implique pour se réaliser l'existence
de citoyens: chacun est sujet de droits, (liberté - égalité - sécurité)
parce que, comme personne, il est sujet moral capable de s'obliger
non par des lois de contrainte de corps mais par la représentation
des lois exprimant une volonté générale à laquelle il
participe. Apparaît alors la notion de personne comme être
raisonnable dont l'existence est une fin en soi-même: la caractéristique
essentielle de la personne c'est donc la moralité, ce "tu
dois" qu'elle s'adresse à elle-même, par lequel elle
manifeste sa liberté d'obéir à une loi morale qu'elle fonde par
sa raison.
Autant
dire que l'idée de personne est source d'humanité: au delà des
aspects différents, des réactions de la sensibilité, la
personne fait apparaître autrui comme le semblable dont la dignité
-la liberté comme autonomie- interdit de le traiter comme simple
moyen. Seule cette égalité de dignité et de droits rend
possible des échanges, des relations humaines qui remplacent la
condescendance ou la violence des rapports de forces par la
conversation, la concertation pour l'élaboration d'un pouvoir
issu de lois qui méritent le respect de tous par leur double
universalité: la loi pour tous (égalité) et par tous (liberté)
devient un être de raison.
L'idée
de personne comme caractéristique d'une nature humaine
raisonnable est donc source de paix entre des semblables qui se
respectent comme ils se respectent eux-mêmes et qui en se
respectant se reconnaissent comme personnes.
A la dialectique ruineuse et sans fin du maître et de l'esclave,
à l'impossible lecture dans le regard d'un esclave humilié de ma
liberté comme dignité, aux renversements incessants du maître
qui devient esclave de l'esclave et de l'esclave qui devient le maître
du maître il est grand temps que l'humanité se constitue dans ce
respect de chaque personne comme être raisonnable sensiblement
affecté: du même coup, chacun sera reconnu par tous comme
personne - raison et liberté - sujet moral - sujet de droits et
de devoirs, comme QUELQU'UN, comme le semblable dont la vie,
existence d'une liberté, n'a pas de prix et mérite donc dans
tous les cas protection et respect de toutes les personnes.
Quand
une personne est torturée c'est toute l'humanité, comme ensemble
des personnes, qui est concernée.
Pistes
de lectures:
Quelques
citations:
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"La
personne c'est l'esprit lui-même considéré en tant que
liberté..." Lavelle,
Traité des valeurs, II. p.461
"L'individu est à lui-même sa fin; La personne a
des fins qui la dépassent" J. Chevalier. La vie
morale et l'au-delà (page 85)
"La personne se veut solidaire. Elle sait qu'elle ne
peut accomplir son jeu que dans un nous." Gusdorf,
Traité de l'existence morale p.380
"Disons simplement qu'une personne est un individu.
Mais non pas n'importe quel individu: une substance
individuelle de nature rationnelle, un individu doué de
raison". Verneaux, Philosophie de l'homme p.186.
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