° Rubrique philo-poche 

Cours de  PHILOSOPHIE par J. Llapasset

Philo-poche  

La personne

 I. Autour du mot

II. La notion: le parcours. 

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I. Autour du mot: personnalité, personnage.

- Comme résultat d'une synthèse personnelle, d'une mise en ordre et d'une mise en valeur de ce qui compose un individu (tendances, caractère, histoire...), la personnalité est singulière, propre à chacun: le produit de racines et de ruptures au sens de structuration hiérarchique par laquelle on devient auteur d'une mise en ordre qui transforme ce que nous avons reçu en un bien propre.    

- Au contraire la personne est universelle, c'est le même sujet moral et sujet de droits que l'on retrouve en chacun.

- Nous jouons souvent un personnage devant les autres, ou plutôt une série de rôles en fonction de l'image que nous voulons leur imposer ou de celle qu'ils veulent nous imposer. Le personnage est caractérisé par la multiplicité des perspectives, la lâcheté comme refus d'authenticité et la sensibilité au regard des autres, alors que la personne est fidélité à la loi qu'elle s'est prescrite, obéissance à la représentation de la loi, parole conforme à un texte choisi et voulu selon la raison.

II. La notion: le parcours. 

La genèse de l'idée de personne, son émergence progressive, permet seule de comprendre la personne dans une idée qui serait sa forme intellectuelle.

Persona désigne en latin le masque de la tragédie: le masque pour faire oublier le visage et la singularité d'une sensibilité particulière, pour ainsi dire à fleur de peau: le masque présente le sentiment figé, grimace de la passion comme souffrance de ne pouvoir changer ce qui est écrit dans le Livre, le texte des Parques que l'action humaine ne peut atteindre et qui déroule mécaniquement comme nécessité (ananké) le fil d'une vie peut être vouée comme celle d'Oedipe au meurtre et à l'inceste. Le masque est figé par le destin dans lequel les spectateurs se retrouvent au-delà des réactions épidermiques qui n'intéressent personne, dans le tragique d'une condition humaine: c'est déjà l'humanité qui gémit au récit de ses passions: "Insensé qui crois que je ne suis pas toi" (Victor Hugo).

A travers ce masque pourtant une parole passe qui module des intonations et signifie une pensée comme compréhension d'un enchaînement d'événements qui ne font qu'obéir à un texte divin comme l'acteur obéit au texte de Sophocle: 
mais l'acteur reprend le texte dans un choix volontaire, assume librement son rôle, l'épouse pour ainsi dire, devant une foule admirative qu'il entraîne par son verbe dans un consentement de tous au texte qu'il profère.

Pour l'acteur comme pour les spectateurs c'est l'ébauche d'une libération qui transforme le destin en simple jeu de théâtre, en le faisant reculer au propre et au figuré.

Comme le déterminisme est descendu du ciel, la personne descend des planches du théâtre dans des joutes oratoires pour l'approbation d'une foule. La reconnaissance d'un rôle social important, comme de faire parler les dieux ou plus tard dans la chevalerie de parcourir le monde, ou pour les magistrats de dire le droit et ainsi mettre la force au service du texte.

Le rôle devenu social prend une dimension publique de service à rendre, de devoir avec comme contrepartie des droits (redevances, respect). Paradoxalement Les inégalités se creusent au point que le droit se réfugie en un seul monarque et qu'il ne reste au plus grand nombre que des devoirs, une étiquette méticuleuse, une aliénation rigoureuse, comme s'il n'y avait plus personne autour du monarque absolu qui finit par s'identifier au texte ou à Dieu! La loi c'est moi.

La noblesse qui incarnait la liberté au point de la manifester devant le danger qui menaçait les paysans, par le risque de la vie, ayant perdu l'autonomie que lui assurait la distance, perd avec la liberté la notion de devoir et, malgré des exceptions notables, les droits afférents.

C'est au texte écrit que l'on s'attaque en coupant la tête d'un roi de droit divin. Et beaucoup de retenir leur souffle devant ce crime de lèse majesté accompli au nom du peuple et de la liberté.
Les paroles prophétiques de Rousseau, le souverain c'est le peuple, se mettent alors à retentir non comme une utopie mais comme une possibilité qui implique pour se réaliser l'existence de citoyens: chacun est sujet de droits, (liberté - égalité - sécurité) parce que, comme personne, il est sujet moral capable de s'obliger non par des lois de contrainte de corps mais par la représentation des lois exprimant une volonté générale à laquelle il participe. Apparaît alors la notion de personne comme être raisonnable dont l'existence est une fin en soi-même: la caractéristique essentielle de la personne c'est donc la moralité, ce "tu dois" qu'elle s'adresse à elle-même, par lequel elle manifeste sa liberté d'obéir à une loi morale qu'elle fonde par sa raison.

Autant dire que l'idée de personne est source d'humanité: au delà des aspects différents, des réactions de la sensibilité, la personne fait apparaître autrui comme le semblable dont la dignité -la liberté comme autonomie- interdit de le traiter comme simple moyen. Seule cette égalité de dignité et de droits rend possible des échanges, des relations humaines qui remplacent la condescendance ou la violence des rapports de forces par la conversation, la concertation pour l'élaboration d'un pouvoir issu de lois qui méritent le respect de tous par leur double universalité: la loi pour tous (égalité) et par tous (liberté) devient un être de raison.

L'idée de personne comme caractéristique d'une nature humaine raisonnable est donc source de paix entre des semblables qui se respectent comme ils se respectent eux-mêmes et qui en se respectant se reconnaissent comme personnes.
A la dialectique ruineuse et sans fin du maître et de l'esclave, à l'impossible lecture dans le regard d'un esclave humilié de ma liberté comme dignité, aux renversements incessants du maître qui devient esclave de l'esclave et de l'esclave qui devient le maître du maître il est grand temps que l'humanité se constitue dans ce respect de chaque personne comme être raisonnable sensiblement affecté: du même coup, chacun sera reconnu par tous comme personne - raison et liberté - sujet moral - sujet de droits et de devoirs, comme QUELQU'UN, comme le semblable dont la vie, existence d'une liberté, n'a pas de prix et mérite donc dans tous les cas protection et respect de toutes les personnes.

Quand une personne est torturée c'est toute l'humanité, comme ensemble des personnes, qui est concernée.

Pistes de lectures:

  • Kant: Fondements de la métaphysique des mœurs.
    Hegel: la phénoménologie de l'Esprit.  tome I. page 160 à 170
    E. Mounier: Manifeste au service du personnalisme.
    J. Lacroix: le sens du dialogue. page 72

Quelques citations:

  • "La personne c'est l'esprit lui-même considéré en tant que liberté..." Lavelle, Traité des valeurs, II. p.461
    "L'individu est à lui-même sa fin; La personne a des fins qui la dépassent" J. Chevalier. La vie morale et l'au-delà (page 85)
    "La personne se veut solidaire. Elle sait qu'elle ne peut accomplir son jeu que dans un nous." Gusdorf, Traité de l'existence morale p.380
    "Disons simplement qu'une personne est un individu. Mais non pas n'importe quel individu: une substance individuelle de nature rationnelle, un individu doué de raison". Verneaux, Philosophie de l'homme p.186.

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