I.
Autour du mot: Le témoignage
- Le
témoignage rapporte ce qui a été vu, entendu, perçu: il est
donc ordonné à l'image, au reflet du sensible et aux
vicissitudes du corps. Le témoignage en appelle à autrui parce
que l'intelligible doute du sensible toujours particulier,
toujours partiel et le plus souvent partial. Voilà pourquoi le témoignage
en appelle à la comparaison avec d'autres témoignages: en
lui c'est le sensible qui se faufile.
- Dans
le jugement au contraire le sujet décide, tranche, affirme la vérité
d'une pensée pure, sans mélange de sensibilité. En ce sens tout
jugement est catégorique en ce qu'il affirme une
relation, un lien entre deux concepts: c'est l'engagement
du sujet qui adhère au vrai comme lorsque le mendiant d'Electre
de Giraudoux affirme: La jeune fille est
la ménagère de la vérité.
-
Alors que le
témoignage par la faiblesse reconnue de son origine sensible en
appelle à autrui, le jugement manifeste la liberté et la royauté
du sujet dans son rapport au vrai: le sujet, comme esprit, loin de
subir une vision fait plus que témoigner, "il agit en
tant qu'il affirme..." selon l'heureuse expression de
LAGNEAU.
II.
LA NOTION: Le parcours
-
-
Le jugement est un acte de
l'esprit qui, en affirmant un rapport entre deux concepts,
rassemble deux éléments (sujet et prédicat) par une copule
(est). Un jugement sera donc toujours réductible à la forme:
S est P:
- Le prédicat peut-être inhérent
au sujet, on peut l'en sortir, le jugement est alors analytique:
le chien est un animal.
-
-
Si le prédicat ajoute quelque chose qui n'est pas dans
le sujet le jugement est synthétique:
les corps sont pesants.
-La
matière d'un jugement n'est pas l'image sensible et particulière
mais les deux concepts qu'il ramène à l'unité. Le concept est
lui-même le fruit d'un jugement que l'esprit pourrait toujours
prononcer. En effet, le concept arbre ramène la diversité de nos
représentations sensibles à l'unité d'une essence, les
rassemble par des traits purs et généraux qu'on ne voit jamais:
la racine, le
tronc, la branche...
autant de concepts unifiés par le concept d'arbre résultat d'un
jugement qui les unifie, en affirmant un lien, un
rapport constitutif du concept.
-
La notion de jugement nous permet:
-
-
de caractériser
la pensée comme effort d'unification, concept, jugement, idée
qui s'éloigne du sensible pour prendre ensemble, pour
comprendre.
-
-
De caractériser
la pensée comme exercice de liberté, de décision,
affirmation d'une croyance, d'une foi -non une foi de
prisonniers du sensible- mais d'une croyance personnelle dont
la force est d'avoir connu et dépassé le doute.
-Loin
des tromperies de l'évidence sensible, loin des rigueurs de l'évidence
rationnelle d'une idée érigée en réalité absolue qui nous
imposerait finalement la passivité, la croyance au coeur du
jugement est un mixte de savoir et de foi, de rigueur et de liberté.
Quelques
citations
"Tous
les jugements sont des fonctions qui consistent à ramener nos
représentations à l'unité" Kant
"Le
jugement arrête le contenu d'une croyance et la pose comme son
objet"
H. Delacroix
"Dans
un homme qui sait vouloir, les pensées sont des jugements; c'est
à dire qu'elles engagent, qu'elles sont des commencements
d'oeuvres" Alain,
Minerve p.188
Pistes
de lectures
-
Descartes:
Méditations IV
Kant: Critique du jugement
Jules Lagneau: Cours de 1888 (PUF 1950
pages 191, 192)
Gabriel Marcel: Le mystère de l'être
Alain: Eléments de Philosophie (Gallimard pages
220, 221)