Contre
la violence d’une administration qui veut souvent utiliser le
pouvoir légitime de l’État pour exclure les enseignants des
fonctions politiques, pour réduire au silence d’esclaves les
instituteurs qui sont responsables de l’enseignement parce
que, au contact des enfants, pour les réduire à la solitude et
à l’impuissance en empêchant les regroupements, Jaurès
propose de leur reconnaître les droits fondamentaux de parler
librement, d’assumer un mandat politique, d’envoyer des pétitions
collectives au Parlement, de participer au Conseil de l’Instruction
publique pour empêcher les manœuvres d’une hiérarchie qui
se pare trop souvent d’une légitimité qui n’appartient
qu’aux serviteurs de la loi c’est à dire aux serviteurs de
tous!
Que tous comprennent que les instituteurs et les enseignants
sont l’honneur de la République car en apprenant à penser
ils apprennent aussi à se maîtriser, à se comporter en
citoyen, à la fois législateur et sujet, à acquérir cette
autonomie comme capacité d’obéir à la loi qu’on s’est
prescrite, sans laquelle citoyens et République disparaîtraient.
Quand on voit comment l’État de Droit est parfois bafoué par
ceux-là mêmes qui ont pour mission de le faire respecter et
qui doivent lui obéir, quand on voit utiliser la force de l’État
au service de la violence d’un désir particulier, quand on
voit les mandarinat étouffer les individus ou les mettre au pas
-comme si seuls ceux qui croient savoir avaient droit à la
parole, par exemple- on se prend à espérer que ce discours
soit relu par tous et que la justice, un peu plus souvent,
trouve ces violences incongrues dans un État de Droit.
Cela rabattrait l’insolence de ceux qui non seulement se
croient au-dessus des lois parce qu’ils croient qu’ils
savent, mais aussi, utilisent leur fonction hiérarchique pour
éteindre un enthousiasme qu’ils n’ont pas allumé: ils réfléchiraient
à deux fois avant d’utiliser le pouvoir qui leur est confié
pour éliminer ceux qui leur paraissent des concurrents, s’ils
craignaient un peu plus la justice qui n’est que
l’application de la Loi, de l’égalité, de la liberté.
(Texte
de Joseph Llapasset)
Dans
la séance du 20 juin 1894, Jaurès, en plaidant pour le
personnel enseignant et ses libertés, prend en fait la défense
de la République.
Avec
Jaurès, contre les hiérarchies, la liberté pour tous les
enseignants!
Séance
du 20 juin 1894
extraits du discours de Jean Jaurès................
M.
Lannelongue a paru creuser entre les trois ordres
d'enseignement. en ce qui touche la liberté politique
des maîtres, leur indépendance de conscience, un abîme
que, pour notre part, nous n'acceptons pas. (Très bien
très bien! à l'extrême gauche.)
Pour
les instituteurs du peuple, la neutralité obligatoire,
le silence obligatoire, pas d'opinion politique, pas
d'expression publique de l'opinion politique, pas de
liberté pour eux la consigne et rien que la consigne.
Pour les professeurs de l'enseignement secondaire, une
sorte de liberté tempérée et mitigée, et pour cette
haute aristocratie de l'enseignement supérieur dont M.
Lannelongue est une des gloires...
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M.
JUMEL. - Et vous aussi.
M.
JAURÈS. - . . une liberté absolue.
En
bas, à l'usage du peuple. à l’usage de ceux qui
travaillent tous les jours, une sorte d'automatisme,
de mécanisme réglé' par le préfet dans chaque
chef-lieu de département. Au milieu, dans
l'enseignement secondaire, une sorte d'organisation
mixte, qui n'est ni le 'mécanisme ni la liberté. Et
en haut, pour l'élite des classes dirigeantes, ce
nouveau privilège la liberté de penser Voilà ce
que. pour notre part. nous n'admettons pas et en ne
l'acceptant pas, en le repoussant, en le répudiant,
c'est nous personne ne pourra le contester - qui
restons dans l'esprit de la Révolution française. La
Révolution française, par ces trois mots
d'enseignement primaire, d'enseignement secondaire et
d’enseignement supérieur, indiquait une série,
mais non pas une hiérarchie. (Applaudissements à
l'extrême gauche.)
C'était d'un bout à l'autre, depuis l'école
de hameau jusqu'à institut central, jusqu'aux
immenses laboratoires d'où sortent les découvertes
nouvelles, un même enseignement qui devait conduire
par degrés tous les esprits de l'éducation élémentaire
à la part d'éducation supérieure qui peut revenir
à chaque citoyen.
Voilà
quel était le programme d'enseignement, la conception
de la Révolution française; c'était un tout
solidaire dont les trois ordres d'enseignement sont
des parties liées, mais non pas cette sorte de
superposition de liberté en haut et de servitude ou
de domestication en bas. (Nouveaux applaudissements
sur les mêmes bancs.)
Est-ce
qu'il y a quatre ans, en 1889, lorsque la liberté républicaine
paraissait menacée d'une éclipse, lorsqu'il y avait
une sorte d'entraînement qui paraissait universel
vers une espèce de régime nouveau de réaction césarienne,
il ne s'est pas trouvé un ministre de
l'Instruction publique, M. Fallières, qui a écrit à
tous les instituteurs de France dans une circulaire mémorable:
"Vous êtes des instituteurs de liberté, et la
liberté que vous enseignez à l'école, vous devez la
répandre au dehors? Ce sont vos ministres de
l'Instruction publique, c’est votre prédécesseur,
monsieur le ministre, qui a ainsi jeté tous les
instituteurs de France dans le combat pour la liberté
politique, pour la liberté républicaine. Et si,
parmi ces instituteurs que le ministre de
l'Instruction publique conduisait à cette époque à
la défense de la liberté menacée, il en est qui se
soient dit "Oui, c'est vrai, le ministre a
raison, il est de mon devoir de servir partout la République
sociale", c'est vous, monsieur le ministre, qui
lui avez ouvert la porte: vous n’avez plus le droit
de le frapper.
(Vifs
applaudissements à l'extrême gauche et sur divers
bancs à gauche.)
Ah!
non, lorsque vous les aurez ainsi soumis à votre
discipline et à vos formulaires, lorsque vous aurez
ainsi tué en eux la liberté, ils ne pourront pas
l'apprendre aux autres. Vous aurez beau faire; c'est
en vain que vous ordonnerez à des âmes serviles de
propager la liberté, à des flambeaux éteints de
communiquer la lumière et à des morts de donner la
vie. Ne tuez pas!
(Vifs
applaudissements à l'extrême gauche et sur divers
bancs à gauche.)
M.
JAURÈS. Voici un passage de la circulaire ministérielle:
"J'ai eu récemment à rappeler, disait M.
Spuller, que c'est au ministre seul et par l'entremise
des chefs hiérarchiques, que les requêtes et les réclamations
individuelles ou collectives doivent être adressées."
Vous entendez bien, messieurs,
"individuelles ou collectives ". M. Spuller
justifiait cette mesure en disant que, d'après la
loi, le ministre est seul intermédiaire entre les
professeurs et le Parlement.
La doctrine est clairement formulée.
Vous me permettrez de dire qu'elle est la négation
absolue du droit de pétition pour les citoyens, la négation
du droit de contrôle par le Parlement.
Ce n'est pas seulement la négation
du droit de pétition pour les professeurs, ce n'est
pas seulement la négation du droit de pétition pour
tous les fonctionnaires, c'est la négation du droit
de pétition pour tous les citoyens
(Exclamations sur divers bancs), car il n'y a pas un
seul citoyen, dans quelque situation qu'il se trouve,
qui ne soit protégé dans ses intérêts par une
administration publique organisée et constituée
(Mouvements divers); c'est ainsi que d'après votre
doctrine, un justiciable n'aurait pas le droit
d'adresser une pétition au Parlement. En effet, il y
a des tribunaux de première instance, des Cours
d'appel, une Cour de cassation ; il y a le ministre de
la Justice. Et lorsqu'un homme a été illégalement
interné dans un asile d'aliénés, il y a un préfet,
qui par des visites régulières a le moyen de mettre
un terme aux abus qui peuvent se commettre!
(Applaudissements. Bruit au centre.)
UN
MEMBRE AU CENTRE- Mais
cela n'a rien de commun avec la question en
discussion.
M. JAURES: Qu'a donc voulu le Parlement lorsqu'il a établi
pour tous les citoyens, y compris les fonctionnaires,
le droit de pétition? Il a voulu qu'aucune
bureaucratie ne pût s'interposer entre les citoyens
et la représentation nationale. Vous votez des lois
dans leur formule générale, dans les dispositions
les plus larges; mais ces lois ne valent que
par l'application pratique qui en est faite,
par le détail, et ce n'est pas vous qui êtes chargés
de l'application de ces lois, car la distinction entre
l'exécutif et le législatif vous en empêche. Mais
il y a un recours si les bureaux faussent les lois votées
par vous, ceux qui en souffrent peuvent faire appel au
souverain ; c'est un droit imprescriptible; le nier,
c'est nier le droit de pétition. (Très bien! très
bien! à l'extrême gauche.)
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