° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE 

Rubrique animée par Jean Jacques SARFATI  

Droit positif, droit idéel et droit transitoire

 

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Qu’est-ce que le droit ?

La question est vaste et le concept lui-même peut s’entendre sous plusieurs acceptions. Si nous envisageons le droit sous l’angle de son élaboration, trois d’entre elles peuvent être envisagées : le positif, l’idéel et le transitoire. Le droit positif - au sens moderne du terme- est l’ensemble des dispositions publiques ayant pour objectif de déterminer les obligations ainsi que les espaces de liberté offerts ou imposés aux individus et aux groupes. Le droit idéel doit être celui que nous aimerions voir advenir et le droit transitoire permettre à ce qui est de se rapprocher peu à peu de ce qui devrait être. Essayons ici d’exposer ces trois formes du droit dans son élaboration.

1) Le droit positif moderne s’est développé à partir du XVIIIème siècle mais plus fortement encore aux XIXème et XXème siècles. Il occupe désormais une place conséquente dans nos sociétés. Cette « omniprésence » peut avoir plusieurs causes et de nombreux auteurs - de Tocqueville à Foucault- ont réfléchi sur ce sujet majeur de la philosophie du droit.

Tocqueville tient les juristes pour les aristocrates des démocraties modernes et, en bon libéral, il estime que le droit doit être l’instrument premier de la lutte contre les abus des pouvoirs étatiques. En revanche, Foucault (en tous les cas le Foucault de "Surveiller et punir") considère que les penseurs libéraux (comme Tocqueville ou Beccaria) sont des « alibis » . Ces derniers masquent la « réalité » du droit dont l’objectif est, en fait, d’assurer un « quadrillage » de plus en plus conséquent des sociétés modernes. Le droit positif, selon Foucault, sert à « dresser » les citoyens, à les transformer peu à peu en sujets soumis et apeurés .

Tocqueville et Foucault peuvent tout autant être réconciliés que remis en question . D’autres facteurs expliquent, en effet, « la montée en puissance » du droit dans nos sociétés. Celle-ci peut s’expliquer par le fait que la morale a moins d’efficacité dans le monde moderne car celui-ci a « atomisé » les individus. En effet, en s’ouvrant à l’extérieur, la modernité a rendu les sujets plus libres mais aussi plus seuls et donc moins aisément socialisables. Autrefois ceux-ci étaient « contrôlés » par les familles et/ou par les petites structures villageoises ou les clans. Le souci d’une sécurité territoriale plus grande, les progrès des transports et des communications ont réduit le monde tout en agrandissant les « lieux géographiques » de pouvoir. En d’autres termes, la modernité a remplacé le village par la grande ville et la région par l’Etat nation.

Le droit a donc pris la place de ce qu’était autrefois la « morale » même si celle-ci ne s’est pas pour autant évanouie. Il est ainsi devenu un moyen permettant de surveiller, punir - mais aussi récompenser- les « sujets » d’une société devenue surpuissante par son truchement.

Mais, outre cette fonction « stratégique », le droit positif a également eu un effet « liant » sur les individus. Il leur rappelle régulièrement qu’ils ne sont pas totalement libres, qu’ils sont « liés ». De fait, de manière plus subtile, celui-ci a remplacé la religion. Le signe de cette substitution est à trouver dans le fait que le droit moderne a véritablement été « inventé » par des penseurs de religions minoritaires afin de permettre une vie commune de ceux-ci avec les catholiques après les sanglantes inquisitions et guerres de religions qui firent rage avant l’installation de la modernité. Le droit positif est ainsi un instrument destiné à rappeler à l’homme le lien qui peut l’unir à d’autres semblables pourtant « différents » de lui.

Il est donc ambigu. Il joue sur l’opposition/lien du semblable/étranger et emprunte nombre de référents au discours religieux. Il use en effet de certains des concepts et des méthodes mises en place par les religions mais cependant n’a - en tous les cas dans les démocraties modernes occidentales - aucun rapport avec une religion dont il se prétend d’ailleurs tout à fait séparé. De ce fait, il est périlleux pour certains car il donne un attribut religieux à ce qui n’est qu’humain.

Mais il est également ambigu du fait que, comme le notait Tocqueville, il est porteur de libertés, si la liberté s’entend comme les différents espaces d’autonomie que la société nous abandonne. En effet, il définit les « droits subjectifs » des individus qui délimitent précisément ces sphères d‘autonomie. Toutefois, dans le même temps, il « quadrille » les sujets en leur imposant des comportements moutonniers, routiniers et très contraignants. Le droit positif peut donc tout autant libérer que nuire à la liberté. Tocqueville et Foucault avaient tous deux raison.

Il convient donc d’accepter cette ambiguïté et de ne pas se laisser aveugler uniquement par l’aspect libérateur du droit ou par son seul aspect corrupteur de liberté.

La dite ambiguïté était bien connue d’ Aristote et de Platon. Aristote rappelle dans la rhétorique que  « La justice c’est cette qualité qui permet à chacun d’avoir ce qui lui revient et ce conformément à la loi ; l’injustice c’est ce qui conduit à prendre le bien des autres conformément à la loi » (Rhétorique. 1366b) (1).

Quant au fait de commettre une injustice, c’est « faire volontairement du tort, au mépris de la loi » et celle-ci « est tantôt loi particulière, tantôt loi commune . J‘entends par loi particulière la loi écrite qui règle la vie d‘une cité et par loi commune toutes les lois non écrites sur lesquelles l’accord semble unanime et général » (Rhétorique. 1368b).

En d’autres termes pour Aristote, la justice se rencontre soit lorsque la loi de la cité est respectée, soit lorsque l’équité est mise en œuvre et il peut advenir que l‘une et l‘autre s‘opposent. Cette « loi non écrite » qui peut contredire la loi particulière n’est autre qu’une loi universelle "gravée" dans le «coeur» des hommes. Ils en ont « l’intuition » ( Rhétorique. 1373b). Comme le rappelle Sophocle, elle est constituée «  de règles inébranlables venues des dieux. Car ce n’est pas de maintenant ni d’hier c’est depuis toujours qu’elles sont en vigueur et personne ne sait d’où vient leur lumière»(2). Elle relève,nous rappelle l’auteur de la Rhétorique qui cite d’ailleurs l’auteur d’Antigone, de « l’être des choses » (Rhétorique. 1373b). Elle est éternelle et les unit ce même si « ces hommes ne sont liés par aucune communauté ni par aucune relation contractuelle».

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Notes :
(1) Toutes mes citations sont extraites de la nouvelle traduction qui vient de nous être proposée par J. Lauxerois « Rhétorique ». Pocket. 2007
(2) Sophocle « Antigone ». Trad. J. Lauxerois. Arléa 2005

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