° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE 

Rubrique animée par Jean Jacques SARFATI  

Droit positif, droit idéel et droit transitoire

 

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Le droit positif donc, est double : inscrit dans les « tables » de la cité ou dans le cœur des hommes.

D’aucuns estiment que, dans le droit occidental contemporain, les règles écrites sont contenues dans les lois, circulaires et décrets. Ils tiennent les déclarations des droits de l’homme et ce que les juristes appellent « les principes généraux du droit » comme les règles non écrites auxquelles Aristote se réfère.

Hobbes, dans un dialogue qui met en scène un juriste et un philosophe, soutient au contraire que «  la loi du monde entier c’est la vraie philosophie » (3).

En d‘autres termes, la loi écrite serait une manière de représenter la cité et son histoire mais seul le philosophe serait à même d’interpréter celle-ci conformément à l’idée de justice universelle et éternelle. Hobbes s’égare si l’on s’en tient à l’idée de droit positif car l’application de la loi positive est rarement inspirée par la philosophie mais plutôt par des considérations plus « sociologiques » qui tiennent à l’état d’un groupe à un moment donné, son vécu, les relations qu’il entretient avec la catégorie sociale à laquelle appartiennent les justiciables, etc…

Aristote l’avait bien compris ,et mieux que Hobbes, car il écrivait, toujours dans la rhétorique, que « les membres du jury et le juge se prononcent sur des affaires présentes et bien précises et dans leur cas d’emblée, la sympathie et l’intérêt personnel entrent en jeu bien souvent : dès lors ils ne sont plus capables de regarder le vrai d’un œil assez théorique et leur plaisir ou leur déplaisir particulier obscurcit leur jugement » ( Rhétorique. 1354b).

Aristote, plus que Hobbes fut un meilleur connaisseur de ces questions de droit et de justice. Il avait donc parfaitement conscience de l’ambiguïté à la fois libératrice et contraire à la liberté de tout droit. Il avait bien saisi que, dans les hypothèses de gouvernements, de justiciables ou de juges injustes,la loi ne pouvait qu’être corruptrice de liberté alors que pour les Etats et juges plus neutres, pour les citoyens vertueux, voire pour ceux qui avaient plus de respect pour autrui, le droit pouvait être source de liberté et de justice.

Toutefois, il pensait qu’il fallait « avant tout laisser le moins possible de latitude au bon plaisir du juge » ( Rhétorique. 1354 b) car le législateur était moins propice à l’erreur en ce qu’il statuait sur l’avenir et le général.

Oubliait-il ou ignorait-il le fait que certains législateurs pouvaient se laisser corrompre ou corrompre l’idée même de loi et que certains juges pouvaient être plus justes que leurs législateurs ? Ignorait-il qu’il puisse exister des lois particulières et de plus en plus spéciales, des groupes de pression et des moyens d’ « acheter » tel ou tel représentant du peuple ? Voulait-il faire silence sur la lâcheté d’un gouvernant face à la pression de telle ou telle partie de la population ou l’aveuglement possible d’un faiseur de loi ?

La lecture de sa « Métaphysique » et des « catégories » nous rappelle que pour lui, la substance première était tantôt l’individu, tantôt Dieu (4). En conséquence, il savait que tout dépendait de ces deux êtres conjointement ou alternativement. La loi pouvait donc, en certains occurrences, être excellente. Toutefois, pour exposer la manière dont il entrevoyait celle-ci, il convient de sortir du droit positif pour entrer dans le domaine du droit idéel.

2) L’un doit être distingué de l’autre (au moins épistémologiquement) car d’une part, il faut cesser de développer les visions idéalistes sur le droit positif en le confondant avec le droit idéel et d‘autre part, aucun travail d’approche sérieux ne peut être fait pour l’un et pour l’autre si les mêmes méthodes sont utilisées pour les connaître. Une telle séparation n’exclut cependant pas les rencontres car l’un peut se nourrir de l’autre et réciproquement mais celles-ci impliquent préalablement la distinction

Aristote l’avait également bien compris et son talent s’exprime sur le sujet dans son « éthique à Nicomaque », sa « rhétorique » et surtout dans ses « Politiques » (5). Sans prétendre exposer sa doctrine en sa totalité, il convient de rappeler les grands principes de celle-ci en quatre points :

- a) En premier lieu, contre les idéalistes, Aristote rappela que « s’agissant de législation, pour savoir quel gouvernement est avantageux pour la cité, il est utile non seulement d’avoir un regard théorique sur le passé mais de connaître ceux des autres cités et de savoir quelle forme de gouvernement convient à quelle cité ». (Rhétorique 1360a). Sur ce sujet - et Tocqueville saura le lire - il n’était nullement opposé à « l’usage des récits de voyage » et pour la « délibération politique », il était tout à fait favorable à l’étude des travaux des « historiens »(Rhétorique 1360a). Toutefois, il renvoyait tout ceci à son ouvrage sur « la politique » .

- b) En deuxième lieu, dans ce dernier texte, il s’opposa alors aux sophistes pour qui la vie dans la cité était un pis aller (6). Pour le Stagirite, l’objectif de celle-ci était plus élevé. Celle-ci se devait d’ œuvrer afin de faire advenir l’excellence. La fin de cette dernière était « la vie heureuse… » et « la communauté des lignages et des villages menant une vie parfaite et autarcique ». (Politiques.III 9-13 1280 b). Pour notre auteur : « les belles actions voilà donc ce qu’il (fallait) pour fin de la communauté politique et non la seule vie en commun » (Politiques. 1280b).

- c) En troisième lieu, dans le même texte, s’opposant désormais aux dogmatiques, Aristote ne tint pas une législation ou une constitution pour « meilleure » que les autres. Pour lui n’était « droite » que la constitution qui visait au bien commun. Tout régime soucieux du bien d’un seul ou de quelques uns était une « déviation » ou une « altération » qu’il fallait combattre(Politiques. 1279 a). Certes, les gouvernements qui s’appuyaient sur la classe moyenne et le régime constitutionnel (7) étaient excellents et ne pouvait être tenue pour « juste » la constitution qui autorisait les riches à piller les pauvres ou celle qui permettait aux pauvres de piller les riches (Politiques. 1281 a). Mais l’essentiel dépendait de la situation quantitative et qualitative de la cité. Selon un principe, qu’il tenait en effet pour « universel »: « il faut que la partie de la cité qui veut maintenir la constitution soit plus forte que celle qui ne le veut pas… » ( Politiques. 1296 a). Le choix de la meilleure constitution impliquait donc adéquation avec celle-ci. La nation qui était pourvu d’une masse conséquente devait opter pour la démocratie alors que celle qui disposait d’une élite qui surpassait le dit peuple en qualité devait opter pour l’oligarchie. Les lois les plus excellentes étaient donc celles qui permettaient aux constitutions « droites » d’advenir et de se maintenir suivant la répartition sociale et économique des citoyens( Politiques 1282 a).

- d) Enfin et en dernier lieu, le Stagirite proposa bien des « recettes techniques » afin de mieux construire la loi. Mais selon lui : « Il semble chose impossible qu’une cité ait une bonne législation si elle n’est pas gouvernée par les meilleurs » (Politiques IV 8 1293 b). Or le meilleur, n’était autre selon lui que l’ « homme de bien » dessiné dans l’ « Ethique à Nicomaque » et dans la « rhétorique » . Celui-ci était certes « rare » et ne pouvait être «  comme la plupart des hommes, de mauvais aloi, esclave à tirer profit et lâche face au forfait » (Rhétorique 1382 b). Il devait posséder « le discernement, l’excellence, la bienveillance » (Rhétorique 1378 b) et alors que « le gouverné est comme un fabricant de flûtes«  lui était « comme l’aulète qui s’en sert. » (Politiques. 1278a). Non que ce gouvernant juste fut « opportuniste » ou machiavélien. Il savait seulement user des talents avec finesse et justice et sans abus. Parce qu’il devait avoir le souci de l’excellence commune qui implique coopération des meilleurs qu’il fallait repérer et qu’il devait être « bon et prudent alors que le citoyen n’est pas nécessairement prudent » (Politiques. III 4 1277 a).

La «prudence» se devait de constituer la vertu première de ce bon gouvernant qu’Aristote avait entrevu. Pour lui, le fin politique devait avoir pour impératif d’éduquer comme il convenait une cité. Il lui fallait connaître la nature du bien individuel, comme du bien commun qui passe notamment par une «jeunesse heureuse et de valeur »(Rhétorique 1360 b). Il lui fallait disposer d’une connaissance judicieuse des causes des séditions et des renversements dans une cité et disposer des moyens adéquats afin de les prévenir en assurant le lien du groupe qu‘il pouvait être amené à diriger.

L’Œuvre du Stagirite constitue donc un trésor considérable pour qui s’intéresse à ce que nous avons appelé le droit « idéel ». Toutefois, celle-ci peut aujourd’hui heurter certaines mémoires. Il faut donc la méditer mais trouver des moyens de la réactualiser. Pour ce faire, nous pourrions redessiner le « droit idéel » autour de cinq concepts qui nous semblent plus en « situation » et d’un opposé qui doit être lu par rapport à notre histoire.

Ces concepts sont ceux de « démocratie réelle », de « justice comme fondement de l’idée de limite », de « distinction des attributions  », de « désir réel » et de « société ouverte ». L’opposé est ce « droit positif » tel que nous l’avons dessiné préalablement et dont les mauvaises applications doivent - par opposition - nous aider à bâtir ce possible qui est recherché ici.

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Notes :
(3) T. Hobbes «  Dialogue entre un philosophe et un légiste ».Trad. L et P Carrive Ed; Vrin 1990. Réédition du texte posthume publié en 1681 p 34
(4) Sur le sujet Aristote « catégories » 5. Voir la note 1 de Tricot dans l’édition de Vrin de 1997 p 7. Le traducteur rappelle la dualité du sens de substance première chez l’auteur des seconds analytiques.
(5) Pour notre travail nous évoquerons la traduction de P. PELLEGRIN Garnier Flammarion 1993
(6) Rappel judicieusement opéré par F. Wolff « Aristote et la politique ». PUF. 1991 qui écrit que « l’enjeu de la thèse est (également) polémique car celle-ci est dirigée contre les sophistes pour qui la vie politique n’est qu’un pis aller, une simple garantie de la survie individuelle » p 37
(7) Pour F. Wolff précité, le régime constitutionnel est celui qui est gouverné par la masse selon l’intérêt de tous p. 89

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