° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE 

Rubrique animée par Jean Jacques SARFATI  

Droit positif, droit idéel et droit transitoire

 

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- 3) Le droit idéel doit, en effet, éviter les inconvénients du droit positif tel que nous l’avons évoqué. Pour ce faire, il doit perdre cette double ambiguïté exposée en première partie de ce travail.

- En premier lieu, le droit idéel devrait donc ne pas être confondu avec la Loi Divine et corrélativement celle-ci doit cesser d’être méprisée par ceux qui ne croient pas. Les différences de croyances devraient ainsi, non plus être « tolérées », mais véritablement « accueillies » dans leur diversité. Ceux qui adoptent un comportement religieux à l’égard de lois qui ne le sont pas devraient être rappelés à l’ordre et ceux qui refusent l‘existence de lois laïques tout autant. Ces deux extrêmes sont d’ailleurs étroitement unis. Un droit idéel juste devrait « accueillir » toutes les croyances dès lors qu‘elles ne sont pas méprisantes. Ceci impliquerait peut-être la mise en place d’un dialogue perpétuel et ouvert entre croyants de toute obédience et non croyants.

- En second lieu, le droit idéel ne devrait plus apeurer mais être seulement libérateur. En aucune manière celui-ci ne devrait donc inquiéter ou contraindre. Il ne serait élaboré et interprété que dans un souci du « juste » entendu ici comme fondement de l’idée de limite.

Concrètement, une telle idée signifie que ce droit devrait être un moyen pour parvenir à cette fin qu’est la réalisation de l’idée de justice qui est elle-même au cœur du concept de limite qu‘elle légitime et crée continuellement.

Le législateur idéel se devrait donc perpétuellement de rechercher cette limite et le gouvernant, de la même nature, tout faire pour que celle-ci vienne continuellement au jour. L’un « mettrait au jour » , l’autre « mettrait en œuvre » . Le travail de l’un ne serait pas celui de l’autre et l‘un et l‘autre cependant ne seraient plus « séparés »  mais reliés par leurs différences effectivement mises en perspective. Celui qui élabore la loi a en effet besoin de recul et de sérénité pour penser les limites. En revanche, celui qui la met en oeuvre, doit être lecteur et interprète fidèle du premier. Mais il doit disposer des talents requis pour trouver les outils et les actions adéquates permettant à ce « juste » d’être régulièrement respecté, mis en œuvre ou reconstruit. Plus que de « séparation des pouvoirs », une saine constitution idéelle devrait donc réfléchir à cette « distinction des attributions » et sortir de la séparation automatique dans laquelle le droit positif feint d‘ailleurs le plus souvent de nous enfermer.

La limite peut évidemment s’entendre en plusieurs sens. Elle peut être culturelle, naturelle, conventionnelle ou métaphysique. Mais elle peut se déterminer en partant du « désir réel » de chaque individu et s’actualiser par la pleine satisfaction de celui-ci. Avant d’expliquer les raisons pour lesquelles , il convient d’établir un lien entre l’idée de désir réel et celui de limite, il importe de définir le premier.

Comme le rappelait Spinoza, celui-ci est « désir » et, en soi, il exprime l’essence de chaque être (8). Mais il est « réel » or le terme peut s’entendre ici sous plusieurs acceptions. Est évidemment « réel » ce qui est nécessaire et en ce sens les besoins vitaux, l’exigence d’un minimum de confort matériel sont nécessaires à tous. Mais l’est également, ce que Aristote appelle « désir réfléchi » et qui n’est autre qu’un « retour complet et sensible de l’âme à son être même » (Rhétorique. 1369 b). Le désir réel relève donc de « l’être des choses » qui n’est autre que « ce qui a sa cause en soi et sa logique » (Rhétorique. 1369 b).

Il est ainsi « réel » , au sens de « réalisable », c’est- à- dire qu’il peut se réaliser concrètement eu égard aux différentes contingences qui nous entourent mais également à la « nature » de celui qui désire.

En conséquence, il porte l’individu et non un autre. Il n’est pas fruit d’une « passion » mais il est ce par quoi le sujet se rend heureux, se libère réellement et apprend à devenir ce qu‘il est. Mais qu’est- ce qu’un individu doit être ? Chacun d’entre nous, trouve son bonheur dans un état qui lui est propre. Et la félicité, comme nous le rappelle le Stagirite est multiple. Elle peut se trouver « soit en accomplissant sa vie dans l’excellence morale, soit en vivant de manière indépendante, soit de manière très agréable parce qu’on a la sécurité, soit en vivant dans la prospérité matérielle avec la capacité de conserver ses biens et d’en profiter. Pour tous les hommes, ou presque, c’est l’une de ces possibilités ou la réunion de plusieurs »( Rhétorique 1360b).

Pourquoi tels individus pensent-ils que tels moyens sont plus propices à procurer le bonheur et tels autres sont-ils dans d’autres dispositions à l’égard des moyens de réaliser cet état ? Ici toutes les réponses conviennent également : la convention, tout autant que la métaphysique ou la pure nature peuvent expliquer leur raison d’être.

Toutefois quelles que soient les diversités de croyances sur la question, chacun peut admettre qu’ ignorer la limite d’un sujet consisterait à ne pas tenir compte du fait que chacun pense que son bonheur se trouve dans telle ou telle disposition plutôt que dans telle autre. En conséquence, tous peuvent admettre qu’enfreindre la limite des sujets revient à forcer l’individu que chacun entend être quant à sa relation au bonheur. Nul ne peut dès lors refuser de considérer qu’ignorer les désirs réels des individus c’est être dans l’injustice et dans l’ignorance de ce qui nous limite tous.

Chacun peut donc reconnaître que le droit idéel doit donc être cet ensemble de dispositifs aidant l’autre à se construire (ou se reconstruire le plus souvent car nous sommes tous dé-construits par la vie et la pensée) autour de l’individu qu’il voudrait être. Mais le droit idéel doit également rechercher le «vouloir» informé, responsable. Il lui faut donc aider les sujets à se former convenablement afin qu’ils décident en conscience, c’est-à-dire en étant pleinement informés des conséquences de chacune de leurs décisions. Il lui faut donc être celui qui contribue à l’expression des désirs ainsi qu’à leur réflexion et à leur réalisation.

Le système juridique idéel se doit donc de devenir celui qui autorise chacun à se libérer tout en responsabilisant. Il ne doit être construit en vue de cette fin et d’une idée de justice conçue comme « limitéité ». Mais comment doit-il agir à l’égard de l’étranger ou du plus modeste des citoyens ?

Vers la page suivante: la « justice sociale »

Notes :
(8) Spinoza Ethique " Toutes les affections se ramènent au désir, à la joie ou à la tristesse.....Mais le désir est la nature même et l'essence de chacun" Traduction C Appuhn. Ed GF 1965

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