Parce
que l’homme est cet être naturel qui nécessairement
s’inscrit dans un univers auquel il ne peut échapper,
mais qu’il est en même temps le sujet d’une liberté
qui introduit une rupture au sein même de l’ordre
naturel, nous devons poser la question de sa nature propre,
de sa nature d’agent libre et déterminer pourquoi il ne
peut installer réellement un ordre de liberté absolue. Or,
il semble que ce soit justement parce qu’il peut agir sans
loi, parce qu’il peut se déterminer pour le pire qu’il
doit vouloir le meilleur. Car, en effet, faire le pire,
c’est encore se déterminer, c’est encore une nécessité.
Il peut choisir librement, hors de toute loi, il ne peut pas
faire que son action ne s’inscrive au sein d’un ordre
causal auquel il doive ensuite se rapporter, ne serait-ce
que pour sauvegarder l’unité et la continuité de son
moi. C’est dès lors un calcul d’ordre pratique sur les
fins et les moyens qui doit le conduire à réaliser un
ordre juste en lequel il puisse exister comme l’être
qu’il est, être libre.
Or,
c’est parce qu’il existe une nature humaine qu’il est
possible de construire un ordre nécessaire à son
expression. C’est même, suivant l’argument du
fabriquant selon lequel on ne connaît que ce que l’on
fait, le seul ordre que l’on puisse connaître et
concevoir en lui-même. En effet, puisque la nature est une
représentation qui s’impose à lui, l’homme seul se
connaît en lui-même en tant qu’il se fait. Ainsi apparaît
la possibilité de constituer une législation de sa liberté,
par sa liberté, pour sa liberté. Il faut, par conséquent,
découvrir les lois de la liberté. La liberté, en tant
qu’elle apparaît dans le monde, est un phénomène. Comme
la nature, on ne peut la concevoir sans une loi qui préside
à son unification dans la représentation. Mais parce que
l’homme est en même temps sujet de cette représentation,
chose en soi, il peut et il doit élaborer la loi de sa
liberté. Ainsi l’élaboration théorique et pratique se
rejoignent. Il est dès lors nécessaire de concevoir la loi
de la liberté pour que la liberté puisse être. Ainsi la méthode
de résolution qui nous offre de concevoir l’essence même
de l’homme doit nous permettre, par voie de composition,
d’établir cette essence dans ses droits. C’est à cette
recherche que se sont attachés les penseurs du droit
naturel, élaborant ainsi une sorte de physique des atomes
sociaux.
C’est,
en effet, en remontant jusqu’à la nécessité légale de
l’ordre humain, en mettant au jour sa nature, que l’on
peut découvrir le lieu de sa liberté essentielle et ainsi
lui assurer la place nécessaire à son exercice. Ainsi, en
concevant le droit de l’homme, sa liberté, est mise à
jour la loi qui doit faire exister ce droit et qui lui est
unie comme Janus à lui-même. La question est alors de
savoir comment se réalise un ordre juste et dans quel champ ?
Il s’agit donc de partir du donné, de la pluralité
contradictoire des volontés et s’élever de là à
l’universel commun qui soit la vérité de toutes,
autrement dit, à ce que veut vraiment l’homme et par conséquent
ce que doivent vouloir tous les hommes. Or que nous révèle
l’hypothèse d’un état de licence absolue, tel qu’on
le trouve chez Hobbes. Il nous montre que la liberté
outrancière et non réglée de tous conduit à la naissance
d’une passion fondamentale : la crainte de la mort
violente. Parce que la nature de l’homme est celle d’un
être de désir voulant les moyens de réaliser ses désirs,
une contradiction naît entre l’état naturel des volontés
et leur aspiration commune. Comme la liberté absolue
engendre un état tel que la condition première de la
liberté, la vie, menace constamment d’être ruinée, un
calcul s’engage dans le for intime de chacun, lui
enjoignant de trouver un moyen permettant de quitter cet état.
C’est dès lors cette crainte de la mort violente qui vaut
comme un impératif moral de constitution d’une législation
universelle. Celui qui souhaite persister en cet état va
contre son propre droit puisqu’il en ruine la possibilité.
Sa liberté menace la liberté. Ainsi comme le formule
Rousseau, dans sa propre tentative de constitution d’un
ordre de liberté universel, « celui qui ne veut pas
être libre, on le forcera à être libre ». Ainsi la
condition même de la liberté est une articulation des
libertés contradictoires garantissant le champ d’une
liberté pour tous. La liberté ne peut exister sans la loi
qui fonde la réciprocité des droits et des devoirs.
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