Or,
en réalisant ainsi un ordre légal, l’homme réalise sa
propre nature d’agent libre et par là-même répond à la
volonté naturelle qui instrumentalise les passions humaines
pour élever à un plus haut niveau les possibilités dont
elle est porteuse. C’est, selon l’expression de Kant
dans l’Idée d’une histoire universelle d’un point
de vue cosmopolitique, « un accord
pathologiquement extorqué » qui permet d’instituer
un ordre naturel, car immanent et universel, en même temps
qu’il se produit par les seules forces de la liberté dont
l’essence est justement de dépasser l’accord instinctif
de l’être à l’ordre naturel. L’artifice légal est
une réalisation supérieure et réflexive de cet ordre
naturel. Aussi cet ordre est-il à faire et non pas à découvrir.
Il doit être conçu dans la pratique et réalisé par les
voies de la liberté. En ce sens, la liberté est créatrice
comme la nature, en tant qu’elle installe dans son propre
développement l’espace d’un monde et son expansion
temporelle. L’homme n’est vraiment libre qu’en se déterminant,
créant par là un ordre nécessaire dont la loi est
condition de possibilité.
En
conséquence, nous pouvons conclure qu’une liberté sans
loi ne peut être conçue. Cette proposition doit
s’entendre en deux sens : d’une part, comme le
montre la réalité politique des rapports interhumains, une
liberté sans loi ne peut que détruire la liberté, chacun
voulant pour soi seul ce que tous veulent pour eux ;
d’autre part, c’est intérieurement à son concept
qu’une liberté sans loi pas concevable. En effet,
s’inscrire dans un monde, c’est se déterminer, c’est
acquérir une forme et par là même réaliser dans la
manifestation phénoménale sa propre loi d’essence. Aussi
la liberté est-elle créatrice comme l’œuvre d’art.
Celle-ci est elle-même un monde de signification dont la clôture
sur soi contient et exprime sa loi propre. De ce point de
vue, nous pourrions concevoir la cohue bigarrée des actions
historiques sur un mode esthétique. Ce qui apparaît comme
" une histoire pleine de fureur et de bruit racontée
par un fou ", où la liberté est bafouée par la
liberté elle-même, s’annonce, à l’aune d’un
principe réfléchissant, comme le lieu même
de la liberté se faisant. La liberté crée elle-même les
conditions de son droit et quand elle renonce à la loi
c’est pour d’autant mieux faire signe vers leur nécessaire
inclusion. Il a fallu deux guerres mondiales pour qu’une
société des nations devienne communauté internationale.
C’est là l’hommage que le vice rend à la vertu.
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