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Jean de la Fontaine  

Discours à Madame de la Sablière (1678) 

(Une étude de Joseph Llapasset )

Du vers 61 à 91

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Ne pas oublier que dans le Salon de Madame de la Sablière les propos couraient sur la science. Le siècle s'intéressait beaucoup à l'observation et s'exerçait fort à raisonner sur les observations.
En désignant Madame de la Sablière comme la messagère des dieux, Iris, que veut nous suggérer La Fontaine?

Du vers 61 à 91

Or vous savez, Iris, de certaine science,

Que, quand la bête penserait,

La bête ne réfléchirait

Sur l'objet ni sur sa pensée.

Descartes va plus loin, et soutient nettement

Qu'elle ne pense nullement.

Vous n'êtes point embarrassée

De le croire, ni moi. Cependant, quand aux bois

Le bruit des cors, celui des voix,

N'a donné nul relâche à la fuyante proie,

Qu'en vain elle a mis ses efforts

A confondre et brouiller la voie,

L'animal chargé d'ans, vieux Cerf, et de dix cors,

En suppose un plus jeune, et l'oblige par force

A présenter aux chiens une nouvelle amorce.

Que de raisonnements pour conserver ses jours!

Le retour sur ses pas, les malices, les tours,

Et le change, et cent stratagèmes

Dignes des plus grands chefs, dignes d'un meilleur sort!

On le déchire après sa mort:

Ce sont tous ses honneurs suprêmes.

 

quand: même si on admet que ... introduit la pensée de La Fontaine et de Madame de La Sablière sur la question que le débat agite.
penserait: noter le conditionnel, on n'est certain de rien. Penser au sens large que lui donne Descartes, avoir des pensées, des sensations, des représentations, éprouver des impressions... ensemble d'images et de représentations dans la conscience.
réfléchirait: revenir sur, s'arrêter, penser sur... .
sur: ici, relativement à, à propos de, au sujet de...
objet: (=> extérieur): ce qui se présente aux sens. "Chaque corps qu'on voit est un objet qui tombe sous les sens, chaque idée qu'on a est un objet qui s'offre à l'esprit". Condillac.
pensée: ce qu'elle pense, la validité et la vérité de ce qu'elle affirme.
plus loin: que La Fontaine et Madame de la Sablière.
soutient: par des arguments et des raisonnements.
ne pense nullement: ici, penser au sens large du terme.
point embarrassé: on le croit spontanément mais a-t-on des raisons d'aller si loin. 
cependant: introduit la falsification de la doctrine des Cartésiens par des expériences.
entend: l'animal perçoit! 
nul relâche: aucun répit qui permettrait à l'animal de se détendre: inhumanité de l'homme.
effort: terme capital: l'animal exécute des mouvements voulus: il a donc une sorte d'âme qui agit sur le corps.
confondre: rendre confuse et indistincte la voie que le cerf suit.
chargés d'ans: et donc d'expérience: il a une mémoire corporelle (sept ans, c'est beaucoup pour un cerf).
suppose: pose en remplacement, substitue une trace à l'autre, celle d'un jeune cerf.
l'oblige par force: le contraint ce qui implique l'exercice voulu d'une force.
amorce: un appât qui les attire. En fait c'est l'animal qui attire les chasseurs, qui les appâte alors que nous croyons que c'est toujours le chasseur qui amorce le gibier.
nouvelle: non seulement autre mais pleine de forces intactes.
vers 71 à 80: dignité du cerf et ignominie du sort que les hommes lui réservent.

Quand la Perdrix
Voit ses petits

En danger, et n'ayant qu'une plume nouvelle,

Qui ne peut fuir encor par les airs le trépas,

Elle fait la blessée, et va traînant de l'aile,

Attirant le Chasseur, et le Chien sur ses pas,

Détourne le danger, sauve ainsi sa famille;

Et puis, quand le Chasseur croit que son Chien la pille,

Elle lui dit adieu, prend sa volée, et rit
De l'Homme, qui confus des yeux en vain la suit.

voit: sens de la vue, sensation => impressions
ses petits: instinct maternel. Pouvoir de distinguer le sien, ce dont elle est à l'origine.
plume: rien que le duvet d'une année: ses petits de l'année qui ne volent pas encore (trépas = le passage, la mort)
fait: mime, elle copie pour amorcer, appâter le chasseur par la vue d'une proie facile qui lui donnera plus de profit que quelques petits de l'année... L'homme et l'animal dressé poursuivent l'appât: ce sont eux, en l'occurrence, qui sont des mécaniques.
détourne: sauve. Utilise un moyen parfaitement adapté à une fin: ayant un projet la perdrix a la condition d'un vouloir.
croit: s'imagine sans raison.
confus: parce que honteux d'être pris au piège.
des yeux: par le regard; distance = impuissance
rit : le rire n'est pas le propre de l'homme ...

On donnera tout son poids au terme cependant (vers 68) qui introduit la falsification de la doctrine Cartésienne par l'expérience. L'animal sent, raisonne, rit.... On ne saurait priver les animaux de l'usage des sens et en faire de simples machines, selon La Fontaine car, au minimum, le cerf entend et agit en fonction de ce qu'il entend (il fuit et invente une stratégie); la perdrix voit et utilise la vue dans sa stratégie. L'un et l'autre se jouent de l'homme en lui tendant un piège, en l'attirant par un appât. Cela suppose l'observation et le raisonnement. Enfin la perdrix semble à notre auteur capable de prendre de la distance et de rire...

=> Vers la page 6 

Joseph Llapasset

Rubrique philo-prépas, l'animal et l'homme: http://www.philagora.net/ph-prepa/animal-homme/

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