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Entretien avec Edgar Morin  

L'homme et l'univers, du biologique au cosmique

Symbiose des êtres vivants

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eut-on alors imaginer, comme l'affirmait Max Scheler dans Nature et formes de la sympathie (5), que tous les vivants sont en symbiose ?

On peut dire en effet qu'il y a cette symbiose bactérienne générale. Il y a diverses symbioses entre êtres vivants, mais il y a aussi des parasitismes multiples, et aussi des phénomènes d'inter-dévoration ; il y a les animaux qui mangent les plantes, les herbivores, et les herbivores qui sont mangés par les carnivores, etc. Autrement dit, dans la vie, on constate à la fois le phénomène symbiotique de coopération et le phénomène d'entre-destruction.

Est-ce que la vie implique l'individuation ? Peut-on imaginer une vie qui ne serait pas individuelle?

Non, mais j'ajouterais, en prenant l'exemple des humains où les choses sont assez nettes, que nous sommes à la fois des individus, des membres d'une société et des membres d'une espèce. Et ces trois notions sont absolument indissociables, je dirais même qu'elles sont comprises les unes dans les autres : au sein de mon individualité il y a l'espèce dans la mesure où l'espèce ne peut pas continuer sans le secours de deux individus de sexes différents ; au sein de l'individu il y a la société, c'est-à-dire la culture, le langage la société est donc à l'intérieur de l'individu qui est l'intérieur de la société. Ces trois notions sont absolument indissociables, mais bien que la tendance réductionniste, simplificatrice, soit très courante dans le monde des biologistes, on ne peut pas considérer que l'individu n'est qu'une sorte d'épi-phénomène et que la définition de la vie est purement et simplement l'auto-reproduction. Il faut dire d'emblée que pour un biologiste moléculaire strict la vie n'existe pas. C'est ce qu'avait souligné François Jacob : " On n'interroge plus la vie aujourd'hui dans les laboratoires" (6). La tendance réductionniste qui a animé la science jusqu'à une époque toute récente, et qui est aujourd'hui encore prépondérante en biologie, avait même réussi à éliminer le cosmos qui n'était plus que de l'espace temps. Le cosmos est réapparu avec la découverte d'un événement initial, le Big Bang et l'expansion de l'univers, ce qui permet maintenant de dire que notre cosmos a une histoire. Le cosmos est enfin ressuscité L'Homme, à son tour, a été radicalement ment éliminé par Claude Lévi-Strauss qui a soutenu que le but des sciences humaines était de dissoudre l'homme (7) et bien entendu on a eu par la suite le bourdivisme réduisant l'individu à ses champs et à ses habitus.

Dans la sociobiologie d'Edward O. Wilson (8), portée à sa limite par Richard Dawkins dans Le Gène égoïste (9), les vrais sujets sont les gènes qui passent leur temps à vouloir se maximiser. Ces auteurs affirment que les sociétés de fourmis ont un intérêt génétique à ce que certaines d'entre elles se dévouent, sacrifient leur vie, vu que toutes les fourmis ont, du fait de leur parenté, les mêmes gènes. Ils expliquent ainsi le don de soi, le don patriotique, par la volonté des gènes. Or, à mon avis, s'il y a des sujets c'est au niveau des êtres vivants dans leur ensemble et non pas au niveau des gènes. Les gènes ne sont que des éléments chimiques. Ils sont porteurs d'une mémoire et d'un engramme qui se transforme en programme au fur et à mesure des besoins de l'organisme. Il y a une réification et une déification contemporaines du gène qui permettent d'occulter le problème de la complexité de la vie.

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