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Entretien avec Edgar Morin  

L'homme et l'univers, du biologique au cosmique

Dans ... La vie de la vie  

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Justement dans La Vie de la Vie (3) il est question, à un moment donné, de " machine vivante ". Y a-t-il une différence - autre que l'organisation - entre une machine machinique et une machine vivante?

Oui, parce que cette machine vivante est à la fois un être, un existant, et une machine. J'ajouterai surtout que cette machine est essentiellement un être vivant. Dans le premier tome de La Méthode (4), j' ai défini le terme de machine non pas à partir de la définition classique, celle des machines artificielles que nous fabriquons, mais à partir d'une définition plus ancienne. Jean de La Fontaine parlait par exemple de la " machine ronde ", moi j'ai défini la machine comme une organisation active
qui, dans certains cas, peut produire un certain nombre d'effets ou de produits. On peut dire par exemple que le soleil est une machine, et même une machine-mère ou arkhe-machine, car une étoile produit à partir du moins organisé (noyaux et atomes légers) du plus organisé, c'est-à-dire les atomes lourds dont le carbone, l'oxygène et les métaux. Les soleils sont donc effectivement des êtres physiques organisateurs. Ils sont dotés de propriétés à la fois ordonnatrices, productrices, fabricatrices, créatrices. Nous-mêmes, en tant qu'êtres vivants organisés, sommes des machines thermiques. D'ailleurs, nous fonctionnons entre 36 et 40° C, ce qui relève d'une combustion qui tient au fait que nos organes et nos cellules travaillent sans arrêt. Nous ne sommes donc pas étrangers à l'univers des machines. Le paradoxe du vivant tient ainsi au fait qu'il est aussi une organisation, que cette organisation peut être considérée comme une machine, une machine très originale, parce qu'à la différence des machines que nous fabriquons et qui sont incapables de s'auto-réparer et de s'auto-reproduire, le vivant, lui, s' auto-fabrique et s'auto-répare jusqu'à un certain point. De plus, puisque nous avons des nerfs, nous sommes également dotés de sensibilité, à la différence des machines. Ce qui est particulièrement évident chez les mammifères, et surtout chez les humains, c'est le rôle énorme que joue l'affectivité dans leur être.

Il faut ajouter une chose très importante ici, à savoir que tout être vivant est aussi un sujet. Pour moi, être sujet c' est se situer dans son site ou occuper le centre de son monde pour le considérer et se considérer soi-même. Dès lors, selon la conception hégélienne, il agit pour-soi, "flir sich". En effet, un être vivant travaille sans arrêt pour se maintenir, s'entretenir, et finalement se reproduire. Le sujet est donc une notion particulièrement complexe. Être sujet comporte d'abord un principe d'exclusion personne ne peut dire " je" à ma place, j'occupe mon site. Même mon jumeau homozygote, en dépit de l'énorme complicité que je peux avoir avec lui, ne peut pas dire "je" pour moi. Mais il y a aussi un principe d'inclusion, c'est-à-dire que je peux inclure un "nous " dans mon "je " ou mon "je" dans un "nous". C'est ce qui fait que je peux me consacrer à mes enfants, à ma famille, à ma patrie, à mon parti, je peux même donner ma vie pour eux. Il y a à la fois un principe d'égoïsme qui naît de l'égocentrisme et un principe d'altruisme qui vient de cette solidarité avec un "nous ". J'ajouterais que même dans le monde bactérien, il n'existe pas d'êtres isolés, il y a déjà un rapport d'intersubjectivité. Ce mot peut sembler bizarre pour des bactéries, mais dans le fond il y a deux éléments qui l'indiquent: d'abord les bactéries communiquent entre elles et certaines donnent même un bout d'ADN à d'autres - ce qu'on a longtemps cru être une sexualité des bactéries mais qui n'en est finalement pas une ensuite il y a l'hypothèse selon laquelle le monde bactérien, qui rassemble les bactéries de l'air, de la terre, de la mer, de nos intestins..., forme une totalité puisque toutes les bactéries, si diverses soient-elles, peuvent communiquer entre elles. Il n'y a pas d'espèces chez les bactéries, il n'y a que des différences ; ainsi il y en a qui sont mauvaises pour nous, et d'autres qui sont très utiles, comme celles de nos intestins par exemple. L'idée est l'existence d'une sorte de super organisme bactérien terrestre, et qui nous a produits, dans la mesure où les cellules eucaryotes, qui sont les cellules des végétaux et des animaux, sont issues d'une symbiose entre deux cellules bactériennes. Ce qui reste de cette symbiose, ce sont les mitochondries. Les végétaux et les animaux sont donc nés à partir de ces bactéries et rien ne nous dit d'ailleurs que cet organisme bactérien ne nous intègre pas dans son ensemble.

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