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Apparitions des Énigmes

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Complémentarisme de
l'ethnopsychanalyse et de la phénoménologie

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(p.1- La transversalité de l’insolite
(p.2- Modèles de pensée
(p.3- L’Étrange et ses doubles : Secret, Énigme, Mystère
(p.4- Phénoménologie de l’Étrange
(p.5- 
Mondes vécus étrangers : le Visible et l’Invisible
(p.6- Padre Pio, une étude de J-M Brohm

  Phénoménologie de l’Étrange


La première règle me semble être la « neutralité bienveillante » vis-à-vis de ces réalités étranges, mystérieuses, énigmatiques, insolites. L’attitude théorique conséquente consiste à les juger a posteriori et non a priori, à aller voir sur le terrain et non à les récuser d’emblée, au nom d’un préjugement négatif. Dans une socio-anthropologie compréhensive, clinique, herméneutique, ethnopsychanalytique, le principe épistémologique du « tout entendre, tout recevoir » du côté du chercheur est le corollaire complémentaire du « tout pouvoir dire, tout oser exprimer » du côté de « l’objet » observé, lequel est la plupart du temps un sujet, c’est-à-dire un être culturel de langage, engagé dans un « monde vécu ». Hélène Renard remarque justement que « certains phénomènes ne peuvent être raisonnablement rayés des réalités historiques. Ils ont existé – ils existent encore de nos jours. La lévitation, les stigmates, la luminescence du corps, l’hyperthermie, la bilocation, le jeûne absolu, la résistance à la douleur, l’incorruption du cadavre sont des réalités attestées. Ces phénomènes ont été observés et circonstanciés. Les noms, les lieux, les personnes ont été mentionnés de façon précise. Ces réalités, des témoins les ont observées. La recevabilité des témoignages, leur authenticité, ont fait l’objet de travaux sérieux par des historiens compétents qui ont opéré le tri nécessaire pour éliminer les cas de supercherie ou d’exagération [...]. Il reste donc des faits que, sauf partialité intellectuelle, on ne peut nier ni rejeter sous prétexte qu’ils dérangent. Certes, admettre de tels faits, ne pas les traiter par le mépris, cela exige un effort. Mais il convient, pour garder un véritable esprit objectif, de savoir résister à l’attitude première de rejet ».

La deuxième règle concerne la « mise entre parenthèses » ou « hors circuit » des degrés de « réalité » des contenus noématiques de ces mondes vécus. La réduction phénoménologique, même provisoire, vise à comprendre les intentionnalités qui constituent ces mondes vécus en tant que « conscience de quelque chose » : intentionnalités de perception, de témoignage, d’imagination, de divination, de communication, de remémoration, d’invocation, d’incantation, de prophétie, d’exorcisme, etc. Edmund Husserl nous a laissé des analyses classiques de l’intentionnalité en tant que corrélation entre une visée, la cogitatio ou noèse, et l’objet visé, le cogitatum ou noème, entre le percevoir et le perçu, l’imaginer et l’imaginé, entre le souvenir et le souvenu, entre le juger et le jugé comme tel, etc. Ces intentionnalités sont des donations de sens dans un vécu intentionnel en tant qu’il se donne dans sa phénoménalité. « Dans le souvenir, écrit Husserl, nous trouvons après la réduction [phénoménologique] le souvenu comme tel, dans l’attente l’attendu comme tel, dans l’imagination créatrice l’imaginé comme tel. En chacun de ces vécus "habite" un sens noématique ». Tout vécu a donc son « objet » intentionnel qui a un sens. Il faut dès lors « instituer une distinction entre l’objet de la représentation et l’existence de cet objet », entre l’objet « mental », « intentionnel » ou « immanent » d’une part, et l’objet « réel » d’autre part, et cet objet réel doit être mis entre parenthèses, ce qui signifie qu’il faut se « tenir à ce qui est donné dans le vécu pur et le prendre exactement comme il se donne ». La réduction phénoménologique est donc la mise hors circuit, entre parenthèses, de l’attitude naturelle, qu’elle soit savante (scientifique) ou spontanée (folklorique), pour « décrire avec une fidélité absolue ce qui se présente réellement dans sa pureté phénoménologique, en se gardant de toute interprétation qui transgresserait les limites du donné ». Et cette mise entre parenthèses phénoménologique implique par exemple que la perception de tel arbre en fleurs, de tel événement, de telle situation, etc., « empêche qu’on porte aucun jugement sur la réalité perçue », « tout jugement de perception, la position de valeur qui s’édifie sur cette base et éventuellement le jugement de valeur, etc. », en somme tout énoncé d’évaluation, ce qui implique de « ne pas imposer au vécu d’autre propriété que celle qui est réellement incluse dans son essence » .

Dans tous les vécus intentionnels habite un sens noématique originaire, selon une relation noético-noématique spécifique. « Il peut s’agir chaque fois d’un arbre en fleurs, et chaque fois cet arbre peut apparaître de telle façon que la description fidèle de ce qui apparaît comme tel se fasse nécessairement avec les mêmes expressions. Et pourtant les corrélats noématiques sont pour cette raison essentiellement différents, selon qu’il s’agit d’une perception, d’une imagination, d’une présentification du type portrait, d’un souvenir, etc., etc. Dans un cas ce qui apparaît est caractérisé comme "réalité corporelle", une autre fois comme fictum, dans un autre cas encore comme présentification du type souvenir, etc. Ce sont des caractères que nous découvrons sur le perçu, l’imaginé, le souvenu, etc., comme tels – sur le sens de la perception, sur le sens de l’imagination, sur le sens du souvenir ; ils en sont inséparables et lui appartiennent nécessairement, en corrélation avec les espèces respectives de vécus noétiques ». Ces vécus noético-noématiques eux-mêmes ne sont pas simples, mais apparaissent dans le flux temporel de conscience avec leurs apparitions, silhouettes, profils, facettes, esquisses, couches et moments complexes (Abschattungen).

On voit donc que l’attitude naturelle naïve – qu’elle soit scientiste, positiviste ou rationaliste – qui prend à la lettre la dichotomie de l’existence ou de la non-existence, de la réalité ou de l’irréalité, de l’objectivité ou de la subjectivité, de l’extériorité ou de l’intériorité des contenus intentionnels – en traitant les « faits » comme des choses ou les « choses » comme des faits – sans s’interroger sur la nature intentionnelle des « données » du « réel », méconnaît profondément l’essence eidétique du vécu (de la perception, de l’imagination, du jugement, de la remémoration, etc.). Tandis que l’attitude naturelle, notamment celle des sciences dites naturelles, postule qu’il existe des rapports réels entre l’arbre en fleurs en tant qu’existant dans la réalité spatiale transcendante et que la perception de cet arbre en fleurs est un état psychique réel qui nous appartient en tant qu’homme réel dans la nature réelle, l’attitude phénoménologique met entre parenthèses l’être réel, ou supposé tel, de cet arbre pour décrire, en tant que donné phénoménologique vécu, la perception, l’imagination, le souvenir, etc. du point de vue de la corrélation intentionnelle entre la noèse et le noème. Dès lors « l’arbre pur et simple peut flamber, se résoudre en ses éléments chimiques, etc. Mais le sens – le sens de cette perception, lequel appartient nécessairement à son essence – ne peut pas brûler, il n’a pas d’éléments chimiques, pas de force, pas de propriétés naturelles ».

Et bien évidemment aussi, si l’on admet avec Husserl « la validité universelle de la corrélation fondamentale entre noèse et noème », tous les actes intentionnels (scientifiques, cognitifs, affectifs, volitifs, artistiques, esthétiques, éthiques, religieux, magiques, initiatiques, divinatoires, etc.) sont redevables d’une réduction phénoménologique qui suspend le jugement sur leur statut ontologique ou leur « réalité » (objective, vraie, extérieure, attestée, vérifiée, mesurée, prouvée, etc.). Ne se pose donc plus comme dans l’attitude naturelle la question de la véracité (fausseté) ou de l’authenticité (imaginaire) des croyances, crédulités, superstitions, illusions, hallucinations, rumeurs, légendes, affabulations, etc., ni celle de leur « réfutation » (récusation), mais celle de leur sens vécu intentionnel. Cette attitude phénoménologique qui accueille le donné tel qu’il se donne phénoménalement est tout aussi rigoureuse – notamment pour une socio-anthropologie de l’étrange, de l’insolite, du prodigieux, du merveilleux – que les laborieuses procédures de « construction de la réalité sociale » (qui tiennent lieu de vertu dormitive en socio-anthropologie), les multiples « enquêtes » dites de « terrain » (questionnaires qui contiennent déjà par anticipation les « réponses », sondages qui ne « sondent rien »...), les « observations scientifiques objectives » (dans des conditions qui n’ont d’« expérimentales » que le nom), les diverses méthodologies réductionnistes de « mise à distance » du chercheur et d’« objectivation » des « faits » (papillons qu’on pourrait épingler ou champignons qu’il suffirait de ramasser...) qui prétendent toutes définir aujourd’hui « la » démarche scientifique ou « la » sociologie.

Alors « il est possible que la phénoménologie ait aussi quelque chose à dire et peut-être beaucoup à dire au sujet des hallucinations, des illusions et en général des perceptions mensongères ; mais il est évident que ces perceptions mensongères, envisagées avec le rôle qu’elles jouaient dans le cadre de l’attitude naturelle, tombent sous la réduction phénoménologique. Désormais si l’on considère la perception et même un enchaînement de perceptions qui se poursuit de façon quelconque (comme quand nous contemplons l’arbre en fleurs tout en nous promenant), nous n’avons pas à nous demander par exemple s’il lui correspond quelque chose dans "la" réalité. Cette réalité thétique, considérée par rapport au jugement, pour nous n’est pas là. Néanmoins tout pour ainsi dire demeure comme par devant. Le vécu de perception, même après la réduction phénoménologique, est la perception de "ce pommier en fleurs, dans ce jardin, etc." ; de même le plaisir après la réduction est le plaisir que nous prenons à ce même arbre. L’arbre n’a pas perdu la moindre nuance de tous les moments, qualités, caractères avec lesquels il apparaissait dans cette perception, et avec lesquels il se montrait "beau", "plein d’attrait", etc., "dans" ce plaisir ».

Et l’on peut donc, en toute rigueur, envisager pareille analyse phénoménologique pour toutes les « apparitions », toutes les « rencontres », toutes les « manifestations », qu’elles soient ordinaires ou extraordinaires, volontaires ou involontaires, normales ou anormales, triviales ou merveilleuses...


(p.5-  Mondes vécus étrangers : le Visible et l’Invisible

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