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Apparitions des Énigmes

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Complémentarisme de
l'ethnopsychanalyse et de la phénoménologie

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(p.1- La transversalité de l’insolite
(p.2- Modèles de pensée
(p.3- L’Étrange et ses doubles : Secret, Énigme, Mystère
(p.4- Phénoménologie de l’Étrange
(p.5-  Mondes vécus étrangers : le Visible et l’Invisible
(p.6- Padre Pio, une étude de J-M Brohm

Modèles de pensée

 L’intérêt de ces analyses maussiennes est de permettre les comparaisons avec d’autres champs de la connaissance où des procédures cognitives (doxiques) similaires sont à l’œuvre. Il paraît légitime à cet égard de rappeler les rapports complexes entre l’alchimie et la chimie dans leur utilisation théorique de divers principes classificateurs, entéléchies ou quintessences, substances primordiales, éléments fondamentaux. De rappeler aussi que dans l’histoire de la philosophie occidentale le recours à une force originaire ou puissance ultime est chose très fréquente : Leibnitz, Spinoza, Schopenhauer, Bergson, Henry, parmi d’autres. De sorte que la notion de force magique ou mystique en tant que « catégorie inconsciente de l’entendement », peut-on conclure avec Marcel Mauss, « rend possibles les idées magiques, comme les catégories rendent possibles les idées humaines ».

Ces réalités produisent et reproduisent sans cesse de nouveaux « faits », « cas », « affaires », « dossiers » ou « événements » qui alimentent à profusion l’immense corpus de l’Étrange. Ce corpus, malgré ses variantes historiques et culturelles (folkloriques), fait réseau dans un syncrétisme assez confus d’où émergent néanmoins des invariants et des constantes qu’il serait intéressant de systématiser et de classer minutieusement d’un point de vue philosophique et anthropologique :

– lieux enchantés et topologies fantastiques (Atlantide, Triangle des Bermudes, maisons hantées, cavernes, marais, gorges, fontaines, forêts, « monts chauves », etc.);
– êtres et entités extraordinaires (spectres, revenants, ectoplasmes, esprits, anges, dames blanches, etc.);
– extra-terrestres ou entités biologiques extraterrestres;

– créatures fantastiques (vampires, loups-garous);
– êtres cryptozoologiques (Monstre du Loch Ness, Yéti, Big Foot, etc.) ;
– chimères et monstres (Frankenstein, Licorne, etc.) ;
– pouvoirs para-psychiques (voyance , télépathie, télékinésie) ;
– corps à prodiges (lévitation, bilocation, autocombustion, imputrescibilité, stigmates, expériences de mort imminente, sorties du corps) ;
– incorporations et transcorporations (réincarnations, métempsycoses, transmigrations et transcommunications) ;
– adorcismes et possessions (magies, sorcelleries, envoûtements, satanismes).

On n’en finit pas de recenser les univers de l’anormal, du paranormal et du supranormal. Occultisme, spiritisme, initiations secrètes, para-psychologie, para-sciences, ésotérisme, numérologie, théosophie, New Age, les systèmes cognitifs totalisateurs (« scientifiques », métaphysiques, religieux, gnostiques) qui tentent de donner sens et cohérence à ces réalités interpénétrées pullulent dans des filiations rhyzomatiques infinies.

Ces systèmes prétendent surtout explorer ou faire advenir avec plus ou moins de rigueur et de crédibilité les Ailleurs (« la vérité est ailleurs »), les Invisibles (qui sont parmi nous), les Doubles (qui nous accompagnent), les Frontières (mobiles et poreuses) entre le Terrestre et l’Extra-terrestre, la Vie et la Mort, le Corps et l’Âme, l’Humain et l’Inhumain, le Bien et le Mal, Dieu et Satan. Autrement dit, ces systèmes de pensée représentent des tentatives de mise en ordre symbolique du vaste continent de « l’inquiétante étrangeté » que Freud, on le sait, a commencé à étudier. Qu’il s’agisse du thème du double et des « rapports qu’a le double avec l’image dans le miroir et avec l’ombre, avec les génies tutélaires, avec les doctrines relatives à l’âme et avec la crainte de la mort », qu’il s’agisse de la « répétition du semblable », de la réitération de l’identique ou « automatisme de répétition », de la « toute-puissance des pensées » (animisme, « mauvais œil », télépathie, « forces néfastes occultes », etc.), des interventions des démons, ou plus fondamentalement encore de « tout ce qui se rattache à la mort, aux cadavres, à la réapparition des morts, aux spectres et aux revenants », ces systèmes intellectuels sont des théories du monde qui permettent de rendre compte d’une infinité de phénomènes sous l’hégémonie d’un principe constitutif ou explicatif. « L’animisme, écrit Freud, est un système intellectuel : il n’explique pas seulement tel ou tel phénomène particulier, mais permet de concevoir le monde comme un vaste ensemble, à partir d’un point donné. À en croire les auteurs, l’humanité aurait, dans le cours des temps, connu successivement trois de ces systèmes intellectuels, trois grandes conceptions du monde : conception animiste (mythologique), conception religieuse et conception scientifique. De tous ces systèmes, l’animisme est peut-être le plus logique et le plus complet, celui qui explique l’essence du monde, sans rien laisser dans l’ombre. Or, cette première conception du monde par l’humanité est une théorie psychologique. Ce serait dépasser notre but que de montrer ce qui de cette théorie subsiste encore dans la vie de nos jours, soit sous la forme dégradée de la superstition, soit en tant que fond vivant de notre langage, de nos croyances et de notre philosophie ».

Reste, bien sûr, en suspens, d’un point de vue ontologique et épistémologique (théorie de la connaissance), ce qui dans cette « théorie psychologique » est pure invention, mythe, fiction, illusion, etc., et ce qui relève de la compréhension pertinente du réel. Et là, la dichotomie scientiste de la « science » et de la « superstition » se révèle totalement insuffisante. Georges Devereux soulève à cet égard une question épistémologique tout à fait pertinente à propos d’une sociologie de l’insolite et de l’étrange. « Un modèle de pensée "incorrect" peut être foncièrement "scientifique", écrit-il, alors qu’un autre, bien que réellement "correct", peut ne pas l’être. La théorie phlogistique de la chaleur était manifestement incorrecte et fut facilement réfutée par Lavoisier. Et cependant, contrairement aux modèles de la mytho-pensée des alchimistes, cette théorie était d’ordre authentiquement scientifique ; il en va de même de la première théorie (à présent dépassée) de la structure de l’atome, théorie modelée sur la structure du système solaire. Par contre, les Mohaves ont une théorie des convulsions hystérico-épileptiques qui est parfaitement correcte, sans pour autant avoir un caractère vraiment scientifique, car elle découle d’un modèle de pensée qui vise essentiellement à expliquer la nature et l’origine des pouvoirs chamaniques [...]. C’est pourquoi nous ne pouvons jamais savoir avec certitude si les données des "psychiatres" primitifs représentent des intuitions scientifiques authentiques ou si elles ne sont que de simples fantasmes, dérivés d’un modèle de pensée culturel ». Une sociologie de l’insolite et de l’étrange doit donc prendre en compte cette dialectique complexe, instable et historiquement relative, qui s’instaure dans tous les champs de savoirs et dans toutes les cultures entre les « modèles de pensée culturels et les modèles de pensée scientifiques ».

Enfin, bien qu’étant généralement assimilés, y compris par les chercheurs (sociologues, ethnologues, psychologues, physiciens, astrophysiciens ou médecins) qui consentent à s’y intéresser, à de simples croyances, superstitions, hallucinations, délires, idéologies de sectes, résurgences folkloriques, mythes modernes, rumeurs et légendes contemporaines, projections inconscientes, fantasmes collectifs, illusions, supercheries (termes qui connotent tous le caractère irréel, imaginaire, fictif, voire inventé de ces réalités), certains faits têtus résistent massivement à leur liquidation comme faits ou à leur mise hors jeu de la recherche scientifique. Périodiquement, et malgré la somme considérable de mystifications, canulars, escroqueries, fraudes, trucages et montages produits par divers charlatans et faussaires qui viennent étayer les thèses sceptiques des rationalistes, ces réalités se rappellent au bon souvenir des scientifiques obligés d’affiner leur argumentation négative. Rien qu’à ce titre ces réalités ont leur utilité épistémologique puisqu’elles permettent de mieux affirmer la démarche scientifique canonique dominante basée sur les enregistrements objectifs, les vérifications, les preuves, et de débusquer ainsi les « fausses sciences ». Mais il y a plus. Quand bien même ces réalités ne seraient en définitive que pures affabulations, mirages, scénarios imaginaires, mises en scène ou rêves éveillés (productions oniriques diurnes ou nocturnes), états crépusculaires, états altérés de la conscience et du corps, symptômes psychopathologiques divers, il reste encore à expliquer trois ordres de données incontestables.


L’Étrange et ses doubles : Secret, Énigme, Mystère

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