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 L' ANIMAL ET L' HOMME

Pages de ressources par Joseph Llapasset

Kafka , La métamorphose. (page 1 - page 2 - page 3 - page 4 - page 5 ...)
"Nous ne pouvons sortir de notre peau." Schopenhauer 

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La Vache qui a allaité la génération de Kafka (Musil, Svevo, Proust, Borges, Céline ...) ce n'est pas Freud mais Schopenhauer le grand, lui dont le cadavre, le corps mort, riait, au témoignage de ceux qui le veillaient. Hilarité, explosion de rire, au point que son dentier avait jailli de sa bouche !

 "Le corps entier n'est que la volonté objectivée c'est à dire devenue perceptible." affirmait Schopenhauer dans Le Monde comme Volonté et comme représentation. (PUF, 1966, page 142) Encore faut-il qu'il soit un corps vivant humain, mais qu'en est-il de celui qui a perdu son corps vivant humain et ... gagné en échange le corps d'un insecte? Quelle inadéquation!
C'est la même hilarité comme explosion de rires qui secouait Kafka lorsqu'il faisait la lecture de La métamorphose. Et, si vous en doutez, essayez de lire à voix haute dans l'acte 1 de cette drôle de fable le passage entre le Fondé de pouvoir et Gregor.

 Disons d'abord que l'humour est libérateur car il s'élève au sublime et qu'en lui,  par lui s'affirme l'humanité, la "moralité déguisée en savant", selon l'heureuse expression de Bergson: du mécanique plaqué sur du vivant ne peut que provoquer l'explosion du rire.

 Outre l'impossibilité d'ajuster le moi subjectif vivant et le moi objectif pétrifié par les interprétations de l'entourage, outre la figuration de l'incompréhension malgré les meilleures intentions de Gregor, la scène provoque une cascade de rires par la distorsion des interprétations du Fondé de pouvoir qui, si on y regarde bien, est le seul à s'étonner dans cette maison car personne ne se frotte les yeux, tout le monde admet la métamorphose, même la solide bonne que l'on va engager et qui va faire son affaire de l'éducation de l'insecte.

Ne pouvant communiquer par sa parole qui se met à couiner, le malheureux Gregor ne peut plus faire connaître ses intentions et va être progressivement accablé par les interprétations de l'entourage, comme si ce que pense son entourage venait se coller à lui. Kafka n'a pas oublié la formule bien frappée de Schopenhauer qui détermine toute communication sur le mode du malentendu, autre source du comique: "Exister pour un autre c'est être représenté, exister en soi c'est vouloir." Schopenhauer, Ibidem, page 985.

 Ce qui fait rire c'est l'enchaînement de réactions mécaniques (la montre et ses ressorts), là où nous attendions l'expression d'intentions, l'expression d'une volonté. Autant dire que Kafka multiplie les réactions qui n'ont pas de sens comme réponses aux actions de Gregor qui s'efforce de pousser dans une direction, selon des intentions humaines généreuses, avec un corps qui n'a plus rien d'humain. Ce qui explose à nos yeux, ce qui nous apparaît, parce que nous sommes très bien informés par le narrateur omniscient, c'est l'absurde de la situation, de la condition humaine, de l'homme qui veut vivre ensemble et qui ne peut exister avec les autres que sur le mode du malentendu et de l'absurde.

 Si celui qui lit à haute voix cette fable ne peut que la trouver drôle, il ne mourra pas de rire. Mais, ne meurent que ceux qui ont renoncé à résister à la mort (autre source, Bichat), "Quand nous n'avons plus rien à opposer au tumulte avec lequel le monde et notre propre corps se ruent sur nous." Cette phrase de Proust ne s'applique-t-elle pas parfaitement à la mort de Gregor, comme à la mort de sa grand mère. (A la recherche du temps perdu, Pléiade, II, page 118). 
Nous ne rions plus car cela pourrait bien nous arriver. Coupé de sa famille, sommé de disparaître, blessé dans son corps par ... une pomme, ayant perdu la volonté de vivre parce qu'il n'existe plus (exister c'est être pour quelqu'un), Gregor meurt avec un dernier regard pour la lumière: il quitte les rivages de lumière. Il meurt de ne pas avoir accepté sa solitude, de ne pas avoir accepté la condition humaine: "Nous ne pouvons sortir de notre peau.

Si notre rapport au monde se fait au creuset de notre subjectivité corporelle, en donnant à Gregor un corps d'insecte Kafka fait disparaître tous les faux-semblants, toutes les illusions de relation et fait donc apparaître dans une lumière crue, celle de la folie, la condition humaine: chaque moi obsédé jusqu'à la névrose par autrui qui, au bout de son désir, s'éloigne toujours du nombre de pas qu'on a fait pour le rejoindre.

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