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L'animal et l'homme: la métamorphose .
La métamorphose désigne implicitement la mort qui nourrit la vie. La
mort de Gregor semble en effet desserrer l'étau qui étouffait sa
famille: celle-ci devient alors chaleureuse, joyeuse, humaine. L'origine
de cet étau reste un mystère. Une contrainte pèse peut-être sur Grete:
en renonçant inconsciemment mais réellement à la prohibition de
l'inceste, il n'est pas impossible que Gregor ait commencé son
devenir-animal. Quoiqu'il en soit Gregor, par la mort, par la mort de
l'animal qu'il est devenu devient un simple objet que l'on peut balayer,
une chose, un corps parmi les corps. Et voilà l'entourage libéré du
devoir d'assistance, autre trait de l'humanité.
La métamorphose apparaît alors comme un instrument de vérité, mais
d'une vérité bien déroutante car elle est multiple et change suivant
les points de vue ... Le point de vue de Gregor nous est bien connu
jusqu'à sa mort, mais après sa mort, le récit continuant, d'autres
points de vue nous laissent dans la perplexité la plus grande. La
vérité ne serait-elle qu'un flux d'apparence? Alors nous ne saurions ce
qu'est l'homme et encore moins ce qu'est l'animal !
- Gregor grand généreux qui se sacrifie ou grand égoïste qui tisse sa
toile de sa chambre qui a trois portes?
- Gregor une pauvre victime ou un bourreau?
- Gregor condamné à mort par un destin ("être pour la mort")
ou par son entourage?
La vérité apparaît donc comme le résultat d'un choix arbitraire, d'une
suite d'interactions: elle change avec le point de vue. Si nous ne savons
pas ce que c'est que l'homme et ce que c'est que l'animal, là
encore, nous permet d'en savoir un peu plus. L'animal parasite, la
vermine, nous apprennent beaucoup sur l'homme qui se laisse aller ou qu'on
étouffe.
C'est que l'homme est nécessairement un réseau de relations et se
définit donc par ses relations, la qualité de ses relations, la qualité
des forces qu'il rencontre. Seul et replié sur sa famille dont il se
nourrit en croyant la nourrir, Gregor se conduit en réalité comme
l'animal parasite: n'ayant qu'eux pour rêver une vie de relation, il les
étouffe et les transforme en pucerons qu'il élève et dont il trait
quelques paroles monotones.
La musique (le violon) n'est qu'un instrument pour garder sa soeur sous sa
coupe: faire son malheur avec en prime les applaudissements de la bonne
conscience. Gregor ne vit-il pas du sang de ses proches, de leur paresse
animale, de leur liberté qu'il a aspirée comme un vampire?
Dans sa chambre aux trois portes, comme une araignée qui a tissé sa
toile, le voilà pris à son propre piège: il est métamorphosé en ce
qu'il est: le voilà livré au devenir-animal et à la mort. Par
contrecoup, l'entourage s'ouvre à la liberté et à la vie humaine, à
l'allégresse, celle qu'éprouvent les convalescents dans l'ivresse de la
santé retrouvée.
Mais qui aura pitié du pauvre Gregor?
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famille
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