A
l'occasion de la lecture de l'acte 1 ...
Au contraire de la métamorphose physique de Gregor qui est quasi instantanée,
le reste de la famille effectue sa métamorphose morale de manière
progressive: dans tous les cas un élément apparaît au sein de
l'ancienne forme, un élément qui semble nouveau alors qu'il était
peut-être simplement latent, un élément dynamique par rapport auquel,
comme dans un système, tout le reste se redéploie. Chaque membre de la
famille de Gregor garde son corps vivant humain sur lequel il exerce une
certaine puissance et, de ce fait, devient instantanément supérieur à
Gregor. C'est la conduite qui est redéployée, qui s'écarte de l'animal
parasite qui profitait et se rapproche de l'humanité qui travaille, prend
des loisirs, a des projets, connaît la joie mais aussi exerce la
violence.
En effet dans tous les cas, un ou plusieurs éléments nouveaux apparaissent
au sein même de l'ancienne attitude: si le père frappe doucement à la
porte c'est avec le poing!
Ce qui déclenche la métamorphose du comportement chez le père, la soeur
et la mère c'est la constatation visuelle et indiscutable (ça crève les
yeux!) de la transformation effective de Gregor en animal. Etant donné
les rapports entre l'animal et l'homme il est bien évident que cela
laisse une place libre dans la structure familiale existante (celle du
père que Gregor inconsciemment avait usurpée en étant le seul à aller
gagner le pain quotidien de tous), place que le père va récupérer,
chacun devenant autre en se situant désormais par rapport à lui.
En perdant son apparence humaine et progressivement la possibilité de
communiquer avec son entourage, en endossant celle d'un animal incapable
de prendre immédiatement telle ou telle position humaine, Gregor va
devenir dépendant (parasite) et laisser un espace dans lequel des autres
membres de la famille, en quittant l'état de parasite, vont retrouver
leur humanité avec leur liberté que l'activité de Gregor étouffait. Ce
qui donne à penser que c'est par rapport à l'animal que l'homme prend
confiance en lui et se constitue dans une supériorité dont il ne doute
jamais: il est maître de son corps, à ce qu'il lui semble, de cette
maîtrise qui fuit le pauvre Gregor. La force de l'homme se définit dans
une relation à une force inférieure, dans un rapport à l'animal qui,
certes, recevra sa nourriture mais comme un parasite vit aux dépends de
ceux qui le nourrissent, devenant ainsi un poids dont on finira par songer
à se débarrasser.
Dès le réveil Gregor perd sa faculté d'agir (plus de bras, plus de
mains) et progressivement sa faculté de parler: c'est parce qu'il a perdu
son corps vivant humain. Le tragique vient toujours d'un effort immense
et inutile, d'une impuissance et de la conscience de cette impuissance.
Gregor n'a rien perdu de sa subjectivité et cela le rend digne de
pitié,aux yeux du lecteur du moins. A la réflexion, un animal qui pense,
qui lutte contre l'oubli, mais n'est-ce pas la condition humaine?
On peut se demander si ce n'est pas une agonie qui commence, une lutte
contre l'oubli pour garder cette humanité dont pourtant il s'éloigne
inéluctablement. Gregor va mourir, n'était-il pas un être pour la mort?
Le père arrive et frappe doucement avec le poing ... parle sur un ton de
reproche comme une mère qui dit le devoir à son grand fils; mais très
vite, il dit la loi, il commande, prend un ton hostile, celui du combat,
mène une guerre intelligente contre l'animal qui n'est autre que son
fils, et termine d'un coup d'une violence extrême.
Entre temps le narrateur nous parle de la "puissante poitrine"
du père, de ses "sifflements de sauvage": où est passé le
vieillard assisté, le parasite résigné?
Mais cela
n'est-il pas moins évident chez la soeur et chez la mère?
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