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MARE NOSTRUM

Phéniciens et Grecs en Méditerranée et sur le littoral provençal.

Jean Bernardi, professeur de Lettres Classiques à la Sorbonne.

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Il y a environ 27 siècles un bateau grec abordait notre littoral. Ses marins prirent langue avec les naturels du lieu et l'accord fut scellé par un mariage entre le chef de l'expédition et la fille du roitelet local.
   A peu près au même moment, Jérusalem était prise d'assaut par les troupes du roi de Babylone, Nabuchodonosor. Rome n'était encore qu'une bourgade de paysans, et l'éclat d'Athènes restait à venir. Quant aux héritiers des pharaons, tombés en pleine décadence, ils allaient s'effondrer devant les armées perses.
  Les Marseillais ne sont pas peu fiers de cette ascendance grecque, même si leur inconscient collectif les pousse plus à se sentir cousins d'Aristote Onassis que du philosophe du même nom. Ils savent que la plupart des autres Français descendent au mieux de gallo-romains plus ou moins bien civilisés quelques 500 ans plus tard qu'eux.

L'expansion maritime des Phéniciens et des Grecs

A dire vrai, on se tromperait lourdement en imaginant la fondation de Marseille comme un phénomène isolé. Cet événement faisait partie d'un immense mouvement d'ensemble qui a duré environ trois siècles. 

A partir du VIIIe s. avant J-C, des Grecs du continent européen colonisent les rivages de la Turquie actuelle. A leur tour, les villes nouvelles qu'ils y ont créées, comme Ephèse, Smyrne, Milet ou Phocée, lancent leurs bateaux sur les mers. Tous les rivages de la Méditerranée vont voir fleurir des comptoirs commerciaux ou de simples relais pour la navigation. Parfois, ce seront des colonies de peuplement importantes : c'est le cas de Marseille.

Que rencontraient les marins grecs sur les mers et sur les côtes où ils abordaient? Dans la Méditerranée du Ier millénaire avant J-C, les grandes civilisations susceptibles de sillonner la mer et d'occuper ses rivages et ses îles sont bien peu nombreuses.
Les Egyptiens étaient peu attirés par une vocation maritime. Ils étaient centrés sur la vallée du Nil. Leur rivage maritime était peu hospitalier et il a été longtemps occupé par des tribus peu civilisées et belliqueuses. Il faudra attendre la conquête de l'Egypte par Alexandre au IVe siècle avant J-C et la fondation du port d'Alexandrie pour que les Grecs d'Alexandrie, devenus maîtres de toute l'Egypte, se lancent sur les mers.

Un moment, les Etrusques (qui vivaient dans ce que nous appelons la Toscane) ont tenté de s'imposer sur la mer. En 535, Carthaginois et Etrusques associés battent les Grecs au large d'Alalia, aujourd'hui Aleria en Corse. Mais les Etrusques allaient bientôt tomber sous le joug romain. Quant à Rome, ce n'était encore qu'une puissance modeste et elle ne s'intéressait pas encore à la mer. Les Romains, qui étaient de solides paysans, ne seront d'ailleurs jamais des marins.

Les historiens grecs ont laissé entendre qu'il n'y avait sur les rivages de Gaule que des peuplades sauvages, des Barbares comme ils disaient . 

La réalité est différente. 
Bien souvent, d'autres marins avaient précédé les Grecs. Ceux-ci les ont progressivement évincés par les armes. 
Ces prédécesseurs, les Grecs les appelaient indistinctement Phéniciens.

Les Escales Côtières.

   Les Phéniciens de Phénicie ou de Carthage ont multiplié les implantations sur tous les rivages de la Méditerranée occidentale, au sud dans ce qui deviendra la Tunisie, l'Algérie ou le Maroc jusqu'en Espagne, mais aussi au nord sur nos rivages. Nous nous bornerons à examiner les sites, grosso modo, entre la baie de Saint-Tropez, à l'est et la longitude de Montpellier, à l'ouest.

  Les bateaux de cette époque, qu'ils aient été grecs ou phéniciens, tenaient très mal la mer, car ils n'avaient pas de quille ni de véritable gouvernail. La quille d'un bateau l'empêche de chavirer quand un vent violent le frappe par le travers. L'actualité récente vient de nous le rappeler. Le gouvernail d'étambot, celui que tous les bateaux possèdent depuis des siècles, est situé dans le prolongement de l'axe du navire. Il lui permet de virer de bord avec le maximum de rapidité. Les navires de l'Antiquité n'avaient qu'une rame de queue, placée sur le côté. Dans ces conditions, virer de bord demande plus de temps et d'espace. Plusieurs vagues viennent frapper le flanc du bateau pendant qu'il essaie de tourner. Essayez de doubler la Cacau par temps de mistral sur un bateau du VIIe s..… Ajoutez le fait qu'on ne sait pas encore remonter le vent à la voile.
   Dans ces conditions, un certain nombre de manœuvres ne pouvaient être exécutées qu'à la rame. On ne prenait jamais la mer entre novembre et les premiers jours d'avril. On ne quittait jamais la côte des yeux et les capitaines étaient à l'affût de la moindre crique susceptible d'offrir un abri contre le mauvais temps, contre l'ennemi ou les pirates. 

  Il y a des sites qui ont leurs préférences. L'idéal consiste en une crique profonde surplombée par un cap élevé du côté du vent dominant. Si un îlot ferme l'entrée de cette crique, c'est tout bénéfice. On peut y poster des archers qui garderont l'entrée de la calanque. Si, enfin, on peut tirer les navires à sec au fond de la rade, se réfugier en cas de danger d'attaque sur un rocher voisin et y mettre la cargaison à l'abri, tout est pour le mieux. N'oublions pas non plus ce détail important qu'est la possibilité de se ravitailler en eau douce dans ce refuge. Toutes ces conditions ne sont évidemment pas toujours réunies, mais on s'accommode de ce qu'on trouve tous les 10 ou 20 kilomètres.
   Quand il s'agit d'établir un comptoir à demeure, d'autres critères interviennent. Tout va dépendre de l'intérieur des terres. Les communications sont-elles aisées et sûres? Les peuplades avoisinantes sont-elles susceptibles d'acheter des produits fabriqués et de vendre des matières premières? 

  Le site idéal pour y implanter une vraie ville est celui de ce qu'on appelle l'éperon barré: un promontoire rocheux escarpé s'avance dans la mer, qui protégera les habitants de la ville sur deux de ses trois côtés. Le troisième côté, celui qui la relie au continent, sera défendu par un rempart. C'était le site de la Marseille primitive. C'était déjà celui de Byzance, bien plus tard dénommée Constantinople. Bien des indications pratiques se transmettaient de bouche à oreille. Il n'est même pas exclu que des instructions écrites, des "portulans", aient existé. 
Les grandes familles de Carthage entretenaient de véritables flottilles, à la fois commerciales et militaires, et elles avaient intérêt à ce que les divers capitaines de leurs unités bénéficient de l'expérience du terrain acquise par leurs prédécesseurs. Les bateaux partis de Carthage piquaient donc vers la Sicile, ils remontaient la côte italienne puis ils suivaient le rivage provençal en se dirigeant vers nos parages.

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