° Rubrique Philo: Capes-Agreg

Aide à la préparation au CAPES -

Rubrique proposée et animée par  François Palacio

Dissertations de philosophie - Préparation à l'agrégation

 L’irreprésentable

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I- Comment poser la question de l’irreprésentable

Notre interrogation de départ doit par conséquent concerner le statut d’une telle question. Autrement dit, comment poser la question de l’irreprésentable et par-là même chercher à en acquérir un concept ? En effet, poser la question de l’être de l’irreprésentable, c’est tenter de s’en forger une représentation, or dès lors il n’est plus représentable.

Néanmoins, force est de reconnaître qu’une notion telle que l’irreprésentable n’est pas pour nous un simple flatus voci. Nous avons une idée de l’irreprésentable mais, semble-t-il, sans en avoir de représentation. Il nous faut par conséquent statuer sur la nature de cette idée de l’irreprésentable. Demandons-nous avant toute chose s’il s’agit d’une idée positive ou privative. Si elle est privative, il s’agit d’adjoindre l’impossibilité au concept de représentable, mais en ce cas nous en avons une représentation puisque nous la concevons par la construction de son concept. On ne sort pas, dès lors, de l’ordre de la représentation. Mais si elle est positive, comment pouvons-nous avoir une idée sans pouvoir nous la représenter ? Peut-être conviendrait-il de suivre ici Descartes et distinguer, comme le faisaient les scolastiques, le contenu objectif de la représentation, c’est à dire l’être de l’objet représenté, et le contenu formel, entendu comme l’être de l’objet en tant qu’il appartient à notre pensée. Du point de vue objectif, l’irreprésentable ne peut être contenu dans la représentation puisque sa définition est justement d’y échapper. Reste dès lors à reconnaître que nous avons en nous, en tant que mode de l’esprit, l’idée de néant. Car qu’est-ce que l’irreprésentable sinon une représentation qui n’est pas ? Tentons ici de suivre la démarche de la IIIe Méditation Métaphysique sur une pente négative. Descartes a montré que l’idée de Dieu, ou de l’être suprême, était en nous éminemment, c’est à dire, que n’étant pas parfait nous ne pourrions être cause de l’idée de perfection et, par conséquent, la possession de cette idée était causée en nous par Dieu même duquel l’existence ne pouvait dès lors être niée. Maintenant souvenons nous du §18 des Principes de la philosophie : « il est manifeste qu’il est impossible que nous ayons l’idée ou l’image de quoi que ce soit, s’il n’y a en nous un original qui comprenne toutes les perfections qui nous sont ainsi représentées ». Dès lors, si nous avons en nous l’idée du non-représentable, d’une représentation qui n’est pas, et donc du non-être, il faut bien que cette idée soit en nous formellement, et non éminemment puisque le non-être ne peut être cause. Reste donc que l’idée de l’irreprésentable soit en nous l’effet du néant de notre propre être et par conséquent témoigne de notre finitude. Ainsi à l’idée d’irreprésentable répond la contingence de l’homme. Si nous pouvons donc avoir une idée de l’irreprésentable, c’est que notre représentation n’est pas à même de couvrir l’entièreté de l’être, c’est que nous ne connaissons jamais tout le réel.

Aussi, si l’idée peut dépasser la représentation, il convient d’établir la nature de la représentation et son objet pour déterminer quelle connaissance nous est permise et peut-être entrevoir vers quelles limites fait-elle signe pour ainsi mieux cerner, sur un mode négatif, l’irreprésentable. Commençons par établir que la condition de la représentation est la langage. Pour pouvoir me représenter quelque chose, je dois acquérir le concept de sa possibilité gnoséologique, quand bien même cette possibilité est imaginaire d’un point de vue ontologique. Ainsi, un centaure est une représentation possible en tant que le concept de centaure est formé de celui d’homme et de cheval, bien que la possibilité que je rencontre un centaure dans l’expérience soit nulle. Cette possibilité m’est ainsi fournie par l’intuition. Mais comment puis-je dire quelque chose de quelque chose ? Comment se crée l’homologie de l’être au langage, de l’intuition à la représentation ? Justement en ceci que la possibilité de l’intuition et la possibilité de la représentation sont une seule et même chose. Le divers sensible pour m’apparaître en tant que phénomène, perçu ou simplement imaginé, doit être lié en fonction d’un concept qui en est la condition de synthèse. C’est pourquoi Kant peut faire de la simple expression « penser, c’est juger », le pivot de la déduction transcendantale dans la Critique de la raison pure. Penser c’est unir en une conscience le divers de l’intuition. Juger, c’est l’acte même par lequel ce divers est ramené à l’unité d’un concept. Ainsi je ne peux dire quelque chose que si je me représente cette chose, mais je ne peux me la représenter que si je peux la dire. La condition de la représentation est le langage. Nous n’avons qu’un rapport médiat à l’être. L’être en lui-même est chose en soi. Seul le phénomène en tant qu’organisé dans ma représentation peut m’être donné. Quant à la représentation qui ne vise pas un phénomène comme donné dans l’intuition, elle ne me fournit que la règle de synthèse d’un objet en général, d’un objet transcendantal indéterminé. De là nous pouvons distinguer le réel et la réalité. Le réel pur correspond à la chose en soi qui ne m’est pas donné dans l’intuition. La réalité est ce réel en tant qu’il m’est connu, non tel qu’il est en soi, mais en tant qu’unifié dans la représentation. Ainsi le réel n’est représentable que s’il se réalise en tant que représentation. Autrement je puis m’en faire une idée mais absolument indéterminée, sachant qu’il n’est pas ce que je me représente. La réalité, qui m’est seule donnée, n’existe que par et dans la représentation.

Par conséquent, le langage est ce qui structure la réalité et donc ce qui offre l’existence au sujet en tant que sujet de la représentation. Mais comment la réalité se constitue-t-elle pour n’exister que par le langage ? Autrement dit, s’il n’y a de sujet qu’en tant que le langage l’instaure dans un rapport duel à l’objet, sur quel fondement s’établit ce rapport à l’objet ? Ce fondement est-il représentable et y accédant ne pourrait-on concevoir l’irreprésentable ? Tentons donc une analyse génétique du sujet et de la représentation. La recherche psychanalytique établit que la condition première de l’être humain est celle d’une fusion originaire entre le moi et le monde. Ce n’est que progressivement que l’enfant parvient à la mise à distance de l’objet et par là à la représentation de celui-ci en même temps qu’à sa propre position de sujet. Dans un premier temps donc, l’enfant éprouve le sein de sa mère comme une partie de lui-même. Il est lui-même l’objet de satisfaction du désir de sa mère. C’est ce que Lacan nomme l’être le phallus. Mais l’intrusion du père et l’injonction faite à l’enfant de mettre à distance son désir originel fait pénétrer ce dernier dans l’ordre de la loi symbolique en vertu de laquelle il passe de la dynamique de l’être à l’avoir le phallus, autrement dit de l’identification à l’objet du désir à sa possession et donc aussi à sa perte. Cette perte imaginaire du phallus crée « un trou dans le réel » en vertu duquel l’enfant s’inscrit face à l’Autre dans une demande de satisfaction jamais comblée. Cet Autre est la totalité irrémédiablement perdue dans le refoulement originaire. Ne pouvant recomposer l’unité perdue, le moi se positionne comme sujet de désir portant sur un signifiant symbolisant l’objet perdu ; cet objet substitutif, objet a, signifiant du manque originaire, instaure le sujet lui-même comme signifiant. La condition pour le sujet de pouvoir dire Je et, par conséquent, sa position face à une réalité objectale, est l’inscription dans un rapport symbolique à l’objet de son désir, objet qu’il devra nommer en ne le nommant jamais réellement. L’Autre que recherche le sujet ne lui apparaît que sous la figure de l’objet a, et donc dans l’ordre de la représentation. C’est en tant qu’il nomme l’objet de son désir, et donc lui-même, que le sujet instaure une réalité, réalité structurée par conséquent dans et par le langage, ce que Lacan appellera le parlêtre. Il n’y a, par conséquent, de réalité possible pour le sujet qu’à travers la représentation. L’irreprésentable, le refoulement originaire du désir de totalité, fonde la représentation mais n’apparaît jamais lui-même. Seule nous reste l’idée d’une absence non-thématisé mais dont la nostalgie soutient et structure notre être au monde. Aussi l’irreprésentable, quand il monte au langage et se nomme tel, n’est qu’une idée dont la connaissance est impossible, puisque la condition de possibilité de cette connaissance est justement la dualité sujet-objet et, partant, la représentation.

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