Dans sa Théorie
esthétique, Adorno a cette remarque qui sonne comme un
paradoxe : « les œuvres d’art parlent à la
manière des fées dans les contes : tu veux
l’absolu, tu l’auras, mais il te sera inconnaissable ».
C’est là en effet le secret de toute présentation esthétique.
Dans sa volonté de perturbation, elle cherche à dissoudre
la prétention langagière qui tend à l’arraisonner à
l’aune du message. Et pourtant Adorno a écrit une esthétique.
On pourrait y voir le jeu emblématique de l’époque
contemporaine : montrer par le langage l’insuffisance
inhérente à ce langage, ou comment représenter l’irreprésentable
qui se cache derrière toute tentative
d’identification.
Car c’est
bien là tout le problème d’une pensée qui, dans
l’ordre de la représentation, essaie de saisir au moyen
de la rigueur conceptuelle ce qui ne peut être représenté.
Il serait possible de penser, sans le dire, ce qu’est
l’irreprésentable, en annexant un coefficient
d’impossibilité à la représentation. Mais cette idée,
toute négative, dès qu’elle chercherait à se déterminer
et à se communiquer succomberait de nouveau aux impératifs
de la représentation inhérents à toute tentative de
transcription discursive. En effet, qu’est-ce que dire,
sinon organiser dans un ordre hétérogène ce qui se présente
à l’expérience immédiate ? Dès lors, vouloirs
dire l’irreprésentable suppose un véritable cercle en
vertu duquel ce qui ne peut être dit doit se dire sur le
mode où il ne peut ni ne doit justement être présenté.
L’irreprésentable apparaît dès lors comme le proprement
inconnaissable vers lequel on ne peut faire signe qu’en déjouant
le jeu de la représentation. Aussi se demander « qu’est-ce
que l’irreprésentable ? », c’est chercher à
savoir comment l’on peut le penser ; et finalement
s’interroger : peut-on penser en dehors de la représentation ?
On le voit,
cette question semble nous conduire vers un abîme tendu
entre une multitude d’abîmes, et tout d’abord celui-ci :
comment poser la question de l’irreprésentable sans
passer par l’examen de la représentation ? Cette
dernière doit-elle être mise en question pour ouvrir vers
la possibilité de son au-delà ? Et finalement, si
remettre en question la représentation, c’est renoncer à
la subjectivité qui la soutient, à quelles conséquences
nous conduisent sa destruction ? Est-elle même représentable ?
Vers:
I-
Comment
poser la question de l’irreprésentable |